Le présent n'est que le futur passé...
1 Février 2008
Encadré par deux gendarmes, il attend patiemment. Il attend que l’appariteur fasse son office d’apparaître afin de le faire disparaître de cette antichambre. Il patiente, tête baissée, d’un regard juvénile, lui qui n’aurait jamais imaginé devenir l’homme le plus connu de la planète boursière. La porte s’ouvre. L’appariteur apparaît puis le fait apparaître. Il entre seul, penaud, impressionné. La pièce est vaste et dégoulinante de dorures et de boiseries sculptées. Assis à son bureau, l’homme brun le fait entrer d’un geste de la main. Il téléphone, le corps balancé en arrière, il rit, d’un rire gras. Il est en chemise, la cravate à moitié dénouée. Puis il interrompt son appel :
- Bon, j’te laisse… tu devineras jamais qui je reçois…
- Entrez, installez vous, là…
Il désigne un canapé. Le jeune homme s’assoit. Ils sont deux dans cette pièce fastueuse et intimidante. Mais l’homme du téléphone est à l’aise, il se lève puis s’approche à son tour du canapé, se baissant pour ramasser une boite posée sur la table basse.
Sa main plonge dans cette boite presque vide, ravagée par la gourmandise du propriétaire des lieux. Il prend la praline, puis du bout des lèvres grignote le cacao. L’homme le regarde et sourit.
- Vous êtes impressionné ? C’est ça ? Vous n’avez rien à craindre de moi… Il faut qu’on s’explique c’est tout, d’homme à homme, face à face, les yeux dans les yeux.
Le frêle jeune homme encore abasourdi par sa folle semaine acquiesce de la tête, sans mots.
- Parce que voyez vous, moi j’en rencontre tous les jours des types de votre envergure mais là vous les battez tous. J’espère que vous êtes conscient de votre situation.
Le jeune homme a blanchi, le face à face va être cuisant, il ne sait même pas s’il s’en sortira.
- Bon alors reprenons depuis le début, vous êtes breton c’est ça ? D’origine modeste aussi j’ai cru comprendre ? On peut se parler franchement et directement, rien ne sortira de ce bureau. Je vous en donne ma parole, je veux comprendre…
Le jeune homme a baissé les yeux, l’enjeu le dépasse.
- Depuis une semaine, on ne parle plus que de vous. Battu, écrasé, en poussière tous les autres, les Jean-Marie Messier, les Michel Bon, les Philippe Jaffré, les Jean-Yves Haberer. Vous voila en tête du box office. Vous avez fait plus fort que moi en une semaine. Vous faites la Une des médias, sans rien leur promettre, sans les flatter, sans les intimider. Vous êtes l’homme le plus citer sur le Web, à la télé à la une des journaux du monde entier. Alors là chapeau bas. Moi, il m’a fallu des années, moi, j’ai ramé pour en arriver là et vous avec cette gueule d’ange, un clic de souris et à vous la célébrité ?
Moi, il m’a fallu des défaites, des traversées du désert, deux mariages, deux divorces, pour commencer à gérer mon image. Moi, j’ai du soutenir Jacques Chirac , moi j’ai supporté Balladur, enduré Juppé , m’associer à Villepin et pendant des heures écouter les conneries de Raffarin et de Copé sans parler des réunions avec Accoyer , j’en suis épuisé rien que d’y penser. Et vous, là, boum, vous avez tout fait sauter, écrabouiller. Il vous a à peine fallu une journée pour me ringardiser, anéantir ma popularité et me ridiculiser.
Le jeune homme surpris, hausse les sourcils en écarquillant les yeux, à peine veut il esquisser une réponse que la joute se fait encore plus féroce.
- Oui vous avez tout fait sauter. J’ai l’air malin moi maintenant avec mon slogan, « travaillez plus, pour gagner plus » quand je lis le matin même que depuis que vous avez été engagé vous n’avez pas pris un seul jour de vacances et de RTT. Bravo, vous êtes un modèle du genre, la facture est un peu salée, 5 milliards…
A présent le jeune homme est un petit garçon, il baisse les yeux, il se fait gronder.
- Vous voulez vraiment pas de chocolats ? Pourtant ils sont délicieux.
Il plonge encore ses doigts dans la boite et d’un coup avale les dernières pralines belges.
5 milliards !!! Mais c’est insensé, j’les ai même pas ça sous la main, j’peux même pas les perdre. Vous faites le malin, mais c’est moi qui prends maintenant. Et avec votre slogan « Pas vu pas pris, vu pendu !» moi je suis ruiné. Séguéla n’y a même pas pensé, il pense à rien qu’à me faire de la lèche, comme si j’avais pas vu son manège.
Cette fois l’homme exulte, il s’est levé, se dirige vers la fenêtre et fait des grands gestes.
- En plus me faire ça, la semaine où je me farcis Attali , c’est le bouquet, je suis ridiculisé. Anéanti. En plus j’ai dû affronter la Merkel, elle m’a encore fait la morale. Elle me déteste, j’en suis sûre, cette femme me déteste, elle a réussi et me méprise. Mais elle avec ses Allemands, ils sont disciplinés, pas comme ici !!! Évidemment c’est pas à la Deutsche Bank qu’un tel truc arriverait. J’oubliais aussi les Anglais, le Brown est encore plus sournois, il a laissé la City nous assassiner.
Il parle vite son corps est convulsé, sa tête rentre dans ses épaules, il est prêt à l’insulte.
- Quand je pense que je me suis fait tout seul et d’un clic de souris, vous foutez tout par terre. Travaillez plus, ben voyons, c’est sûr vous avez travaillé plus, bravo pour le résultat, on va avoir une OPA. En plus pour un salaire de misère, à peine 60 000 euros, mais vous n’êtes qu’une caissière. Je les vois tous les gros titres des journaux, vous avez le beau rôle, en une journée vous avez vengés tous les épargnants grugés, les emprunteurs étranglés et les particuliers acculés. Vous voilà populaire, ça vous fait quoi d’être populaire ?
Il s’est retourné vers le jeune homme, qui écoute la mitraille attendant la fin de l’échange. Il hausse les épaules, va pour balbutier mais…
- A non je vous en pris, ne dites pas que ça vous fait rien, c’est grisant, vous êtes un héros moderne. 31 ans l’gars !!! Il fait la Une, il perd 5 milliards, il devient populaire, alors pitié pas de simagrées. On dirait un sketch de Bigard, même pas drôle…
Le doigt pointé vers le jeune homme, il se fait accusateur…
- Allez, je vous vois venir, vous allez accuser vos supérieurs, vous allez écoper de 7 années de prisons, vous n’en ferez que deux, puis vous allez sortir sous les applaudissements. Vous allez vendre les droits de votre vie, écrire un livre faire du cinéma et vous faire embaucher à prix d’or par une grande banque Américaine. C’est vous le héros de l’histoire, le peuple aime les héros, tient même que vous allez vous marier avec Miss France.
Le jeune homme interloqué, fait non de la tête, sans prononcer aucun mot
- Miss France, c’est moi qui vous le dit, regardez Rocancourt -, lui !!! L’escroc international, le faussaire mytho, le playboy qui passe à la télé, il est avec Sonia Rolland maintenant, l’ex miss. On va faire un film, il se compare à Arsène Lupin. Vous êtes le prochain, du grand art… J’ai l’air malin avec ma Carla…
Le jeune homme, à présent s’affaisse dans le canapé, écrasé par cette notoriété…
- Taisez vous, vous m’assommez. J’en ai soupé de ces conneries, j’ai la côte la plus basse de la 5ième république je vais battre Chirac et rattraper Juppé. Et vous tranquille, vous jouez avec 52 milliards d’euros, j’ai fait le calcul, ça fait 341 Milliards de Francs. A vous tout seul vous avez joué avec le déficit annuel de la France et explosé le record du Crédit Lyonnais. Mais qu’est-ce qu’ils foutent dans votre banque ??? Ils devraient vous décorer, vous vendre à l’étranger. Si vous aviez été espion pendant la guerre, vous auriez été envoyé en Angleterre ruiner leur système bancaire. Vous auriez été le héros de l’opération Bernhard.
Le jeune homme esquisse un geste de la main…
- Taisez vous j’ai dis. Je ne suis même plus écouté. Au moment où je veux parler, de sauver la face, de demander la tête du Bouton , vlan il est reconduit. Il est nul ce Bouton, déjà il s'est fait piquer la CiC par le Crédit Mutuel, puis la BNP lui a rafflé Paribas sous son nez et maintenant c'est 5 milliards.On ne change pas une équipe qui perd autant !!! C’est encore un coup du Juppé, il a pas toléré sa défaite, il me l’a fait payer.
L’homme énervé, retourne la boite de chocolats désespérément vide…
- Je suis brisé, amenuisé, en miette, il faut tout recommencer, les virées en banlieue, tout supporter, l’air abrutti de Borloo, affronter la traîtrise de Besson, trouver un nouveau slogan, s’en prendre aux immigrés. Vous êtes l'homme qui valait 5 milliards et c’est moi qu’on trouve Bling bling. Si encore je vous avais connu avant, je vous aurais fait rentrer au gouvernement. Un mec comme vous ça courre pas les rues, ici ils ne pensent qu’à me lécher le c.. Et puis j’ai aussi les municipales, tout gâché, il a tout gâché. Bon pour masquer tout ça, il me reste plus qu'à épouser Carla.
Allez c’est bon tirez vous…
Jérôme Kerviel
Merci Monsieur le président