Le présent n'est que le futur passé...
4 Août 2014
Entre une page météo des plages, des images chocs des bombardements de Gaza et la pantalonnade de l'inspecteur Clouzot à la recherche de 50Kg de cocaïne, la France entre dans une phase mémorielle de célébration du déclenchement de la guerre de 1914. La machine à réécrire l'histoire est enclenchée, largement facilité par la disparition des derniers soldats de cet épouvantable épisode de l'Histoire de l'Europe. Plus aucun Poilu ne viendra contredire ni apporter sa vision de sa guerre dans les médias, qui se livrent à une surenchère de bons sentiments à la limite du négationnisme débridé.
On y va de sa célébration, de son hommage appuyé, de son émotion, de sa pleurnicherie, de son musée, entourés de jolis Poilus en costume et en reconstitution historique façon «Puy du Fou». Le décalage est tel et la propagande si huilée, que cette guerre passe presque pour une partie de campagne, en Taxi de la Marne. On en oublierai presque les millions de morts, de veuves et d'orphelins et le regret éternel du bambin demandant «dis papy raconte moi ta guerre ?». Je suis même surpris que Natacha Polony n'ai rien écrit sur le sujet ? Pourtant une simple lecture des livres, le visionnage de certains films (Le Pantalon d'Yves Boisset) et la recherche sur le Web, montre un tout autre visage de cette Guerre, nettement moins reluisant pour la France officielle et son armée. Étions-nous à ce point les pauvres victimes de ces affreux Allemands ?
Un petit livre, «Si nous vivions en 1913» recueil de chroniques radiophoniques d'Antoine Prost, illustre à merveille cette France d'avant guerre, cette France de 1913, chauffée à blanc et prête à en découdre coûte que coûte contre les Allemands. Cette France massivement rurale, où l'on parle plus le patois que le français, où le journal reste le seul moyen d'information, alors qu'une grande partie de la population ne sait ni lire ni écrire. Cette France là sera envoyée par Wagons entiers au casse-pipe, pour l'orgueil de quelques Généraux échaudés par la défaite de 1870. Certes, l'automobile existe, ainsi que le cinéma, l’électricité, le phonographe, le téléphone, l'aspirateur, le fer à repasser, l'avion, la TSF, mais ne sont réservés qu'à une élite urbaine et bourgeoise qui loue les poitrines des nourrices bretonnes pour allaiter ses marmots avec la bénédiction du curé.
En 1914 l'état-major, est encore façonné par l'armée Napoléonienne, désuète et surannée. A la manière des dompteurs du Cirque Médrano, le fantassin est équipé d'un pantalon et képi de couleur rouge dite « garance » nom de la teinture. Ce Rouge vif est très visible de loin, parfaitement inadapté aux nouvelles armes que sont les mitrailleuses. Les soldats français se font abattre en grand nombre à distance. D'autres seront fusillés pour refuser de le porter. Le costume des poilus «bleu horizon» que l'on voit partout sur nos écrans ne sera généralisé qu'en octobre 1916. Exit donc de notre mémoire télévisuel, ce petit «détail» vestimentaire. Je ne vous parlerai même pas des bandes molletières, qui ne sèchent jamais quand les allemands avaient des bottes.
Autre oubli de ces commémorations façon «Pays de OuiOui» l'offensive «Nivelle», totalement inutile, qui envoya par milliers des pères de famille, des fils, des frères, des amis se faire massacrer sur le chemin des Dames. Après trois années de guerre sans issue, Robert Nivelle prend le commandant en chef de l’armée française. Il remplace en décembre 1916, Joffre, qui avait accumulé les échecs de ses offensives en Artois, en Champagne et sur la Somme. Nivelle promet aux politiques d’obtenir une victoire décisive sur le front. Le secteur choisi pour l’affrontement est le Chemin des Dames. Les pertes sont de 17 000 morts, 20 000 disparus et 65 000 blessés du côté français. Nivelle était bien un Général français, pourtant jamais vous n'entendez son nom cité un seul instant dans ces commémorations pour décrire la boucherie du Chemin des Dames. Sans doute parce que né à Tulle ?
Mais la partie la plus sombre et la plus affreuse de ces années de guerre, passée largement sous silence de ces moments de recueillement est la notion de «Fusillé pour l'exemple». Grâce à Joffre, l'armée crée une justice d'exception, rapide et expéditive. De 1914 aux mutineries de 1917, 2 400 soldats sont condamnés à mort pour refus d’obéissance, mutilations volontaires, désertion, abandon de poste devant l’ennemi, délit de lâcheté ou mutinerie… 675 d’entre eux sont fusillés pour l’exemple dont certains sur ordre du général Pétain. La plupart des «fusillés pour l'exemple» le seront en 1915. Parfois au refus de porter le pantalon souillé de sang d'un camarade mort au combat. Aucune ville n'a pensé à l'occasion des 100 ans débaptiser sa rue, place, avenue, boulevard «Joffre» associé pourtant à autant d'infamie...