Le présent n'est que le futur passé...
20 Septembre 2014
L'année universitaire a recommencé, et avec elle, mes aller-retours vers Poitiers et Angoulême. Ceux qui connaissent ce trajet, pour l'emprunter l'été, savent que depuis 2009, les TGV Atlantique en livrée bleu grise furent habillés par Christian Lacroix. « Christian Lacroix a imaginé une harmonie chromatique énergique violette et rouge pour cette Seconde classe réinventée. » Cela ne vous aura pas échappé que cette ligne atlantique ne dessert pas Arles. Qu'importe, c'est ce décor prune et violine, recouvert d'une moquette au dessin pré-tâché, qui servira d'ambiance pour tous les TGV. Christian Lacroix n'était pourtant plus styliste haute couture, quand cette mission lui fût confiée. Sa maison de couture au décor si singulier avait même fermé, étranglé par les banques. Rares étaient en effet les clientes prêtes à se déguiser en « carmencita de bazar » ou les hommes en « torero de pacotille ».
Si le personnage est créatif et surdoué, en affaire, il n'a pas senti soufflé le vent du golfe, ni celui de l'Asie. Le voici reconverti en styliste, décorateur et costumier, de théâtre, et d’hôtels à la façon « Roger hart et Donald Cardwell ». N'étant ni désigner, ni ergonome, il n'avait pas non plus de compétences particulières pour les contraintes industrielles, et encore moins celle du TGV. Pourtant comme le dit si bien la SNCF « Le grand couturier Christian Lacroix a redessiné l'aménagement intérieur des nouvelles rames TGV. Couleurs repensées, équipements inédits et espaces généreux : redécouvrez votre TGV ! »
C'est à l'issue d'un appel d'offre long fastidieux et compliqué que Christian Lacroix et l'agence MBD Design, furent désignés, contre KENZO, pour équiper 193 rames. Pourtant la concurrence était rude. Voici donc Christian Lacroix à la tête d'une armée de designers, ingénieurs, responsables SNCF pour affronter la dure réalité des besoins et attentes des usagers. Le trait de génie de départ était de symboliser l'idée du voyage par la forme d'un V, déployé dans les têtières en forme d'ailes d'oiseau. L'accroche est séduisante mais s'arrête aux têtières pour le reste tout semble l’œuvre d'une immense improvisation. L'autre idée réside dans les sièges à piétement central donnant un effet de flottaison... Malheureusement le résultat est très loin des ambitions de départ.
Prenons en exemple cette protubérance métallique placée au niveau de la tête. Elle sert de liseuse et de marque place. Depuis l'invention des voyages en train en 1848, les numéros de places sont en hauteur d'yeux du voyageur qui rentre dans son wagon. Le simple déplacement vers le bas plonge tout voyageur dans un profond désarroi. Diantre mais pourquoi donc coller ces chiffres en bas obligeant le voyageur à fixer les yeux des voyageurs déjà assis ? Pourquoi ce non sens illogique ? qui perturbe et ralenti l'installation à sa place ? Pire, ce bloc disgracieux déborde des têtières. Il devient un objet dangereux quand vous le rencontrez brutalement, en tournant la tête pour simplement discuter avec votre voisin. Combien de victimes cognées sont dénombrées par an pour simplement un effet de style d'un coup de crayon mal pensé ? C'est inesthétique, disgracieux et dangereux.
Parlons maintenant de l’accoudoir pivotant et basculant qui comme les vitres arrières de certaines voitures ne bascule pas complètement. Cela n'a aucun effet et chacun s'accroche à ce maudit accoudoir qui ne s'est pas assez escamoté. Il n'y a pas que les accoudoirs qui ne s'escamotent pas complètement. Il y a les reposes pieds qui mystérieusement prennent autant de place ouverts que fermés. Si comme moi vous mesurez plus que 1m90, vous aurez la chance de vous y cogner. Ce cogner sur du Lacroix c'est déjà du grand luxe. Le porte gobelet est pile positionné au niveau des genoux des passagers et ne sert à rien car le dossier est trop penché pour accueillir une bouteille de 50 cl, pourtant vendue à la voiture bar. Idem pour la tablette flottante sur une barre métallique qui est trop proéminente et tranchante pour être vraiment confortable.
Vous en voulez encore ? Parlons maintenant de la qualité de tout cet assemblage disparate. Bien que le styliste n'y soit pour pas grand chose, on était en droit d'attendre une qualité luxe pour l'emblème de la technologie française. Là encore c'est raté. Nous avons désigné Lacroix pour faire du H&M. Les dossiers des fauteuils sont si fins qu'ils ne maintiennent rien. Le tissu est tellement de mauvaise qualité, qu'il est brûlé, rappé, usé aux endroits de frottement après seulement 5 ans. Que dire de la jointure entre les têtières et le dossier, qui après quelques années laisse voir sa visserie et le panneau d'aggloméré. Il est clair que nous sommes bien dans un TGV français et pas dans un ICE de la DeutschBahn. Seule la moquette à l'imprimé déjà tachée survit mieux, ayant absorbé par son motif, les tâches faites par les millions de passagers.
La palme revient à ces places câblées pour accueillir l'électricité, et qui pourtant n'ont pas de prises pour recharger notre quincaillerie numérique indispensable en 2014 à tout voyageur occidental. Pas non plus de connexion WiFi, pourtant disponible sur Thalys et ICE ce qui est in comble pour l'étendard de notre modernité. Ils en pensent quoi, ces touristes Chinois ou Coréens de nos TGV qui découvrent pour la première fois, ces wagons mal conçus aux fauteuils usés et fatigués. Je ne parle même pas des messages jamais diffusés en Anglais, ni des marches pieds qu'il faut escalader.
Ce TGV mal réaménagé est un peu à l'image de notre industrie française. Nous ne mettons jamais les bonnes personnes aux bonnes places, nous privilégions toujours l'effet, l'apparat, le grandiloquent, au pratique et à la qualité. Nous ne sommes jamais dans le modeste et le pragmatique mais dans l'exhibition et le bling bling. Nous voulons toujours jouer à Vatel face à Louis XIV. Ainsi nous avons préféré le geste du créatif au détriment du confort, de la pérennité et de la qualité...
Cet article et tout spécialement dédicacé à Stéphane Vial