Le présent n'est que le futur passé...
18 Août 2013
- Non ma fille, tu ne feras pas le concours de Miss-France...
Il fait très chaud en ce jour de 14 Juillet à Perpignan. La fête se prépare, les esprits s’échauffent. Il y a des pétards dans la rue et les gamins crient déjà en attendant le feu d'artifice de ce soir. Allison fait les va-et-vient dans le séjour vide et sans âme de l'appartement jadis familial. Elle est énervée, agitée, ne cessent de manipuler son smartphone, envoyant des messages, passant la main dans ses cheveux trop apprêtés.
- Allison, tu m'écoutes quand je te parle ? Je ne veux pas que ma fille se montre à moitié nue, devant tout ces gens, des inconnus. Il est hors de question que tu fasses ce concours. Ma fille, tu veux mon déshonneur ? Tu crois que c'est facile à la caserne ? Les collègues qui regardent ma fille ? Non, non, non... Tu n'iras pas à l'élection, ma fille.
Nous sommes ici dans la France médiocre et rabougrie, la France de Raffarin, ou les filles ne seront jamais ni ingénieures, chercheures, aviatrices mais deviennent coiffeuses ou Miss France. Cette France des voiturettes, des Babou, du pastis et des lourds secrets de famille, qui fait s'enrichir la télé l'été. Cindy, ou Allison, ici les filles portent des prénoms d'héroïnes de sitcom américaines, bas de gamme et vulgaires. Elle veut faire ce concours, elle rêve de passer à la télé, elle s'imagine déjà sur le plateau, déambulant en cadence, se dévoilant, montrant ses formes, son seul talent. Sur son Facebook elle a déjà son fan club de filles comme elle, perdues mais déterminées à réussir dans ce monde étrange où l'apparence prévaut sur n'importe quelle autre forme d'intelligence.
- De toutes façon, c'est trop tard, je me suis inscrite et je vais le faire ce concours et tu verras, c'est moi qui vais gagner.
Elle a de l'assurance, de la puissance, elle sait ce quelle veut même si ce qu'elle veut est pathétique. Elle en a marre de coiffer des mamies aux cheveux bleus dans ce salon de banlieue. Elle veut la lumière, les étoiles, les paillettes, les rêves de petite fille sotte et gâtée, que l'on croise dans les supermarchés. Elle crie son désespoir devant ce père dépassé.
- Tu t’intéresses jamais à ce que je fais de toute façon, tu t'en fous, tu te fous de tout alors laisse moi. Je suis majeure, maintenant je fais ce que je veux, j'irai. J'irai avec maman, j'irai toute seule mais j'irai.
La chaleur est intense et l'émotion palpable. Les deux êtres d'amours se déchirent, se croisent, ne se comprennent plus. Les regards s'évitent, les peaux ne se touchent plus, la rupture est consommée.
- De toutes façon c'est décidé, l'année prochaine je vais vivre avec maman...
Marie-Jo entre dans la pièce, les bras chargés des derniers effets d'une vie passée. Une valise pleine de souvenirs, vêtements, photos livres, dessins d'enfants, débris des amours depuis si longtemps mortes. C'est une femme fanée mais encore vive, qui ne laissera pas le destin de sa fille entre les mains de son bientôt ex conjoint. Avec violence, elle élève la voix, crie, injurie.
- Tu laisses ma fille tranquille. Si ça ne te plaît pas c'est comme ça. Allison ira à ce concours que cela te plaise ou pas. C'est ma fille, tu comprends, ma fille et j'ai le droit de décider avec elle.
Elle a posé sa valise au sol, elle fait face à l'homme. Elle le toise, le regarde droit dans les yeux sans la moindre peur, la moindre angoisse. Son regard est vengeur et sanguin presque assassin.
- Je t'ai tout donné, tu m'as trompé. Mais qui es tu pour oser empêcher Allison de vivre ? Tu n'es plus rien, je te quitte, elle te quitte avec moi, c'est comme ça. Je t'interdis, tu m'entends, je t'interdis de lui donner un ordre, elle n'est plus ta fille...
Dans l'air, un poing serré a traversé l'espace et brisé le silence qui suivit l'impact. Le trajet d'une violence inouïe est venu percuter le visage crispé de Marie-Jo. La tête a violemment rencontré le chambranle de la porte. Le corps s'est affalé dans un bruit sourd, renversant un carton des souvenirs heureux. Marie-Jo est morte, terrassée par le matador dans cette corrida conjugale. Perchée sur des stilettos de Prisunic, Allison hurle.
- Mais qu'est ce que tu as fait ? Mais tu es fou ? Tu es fou...
Elle a pris sa tête à pleine main, hurle, pleure, s'agite, ne comprend pas, ne comprend plus. Elle se penche sur sa mère. Se relève et court frapper son père dans un hurlement strident. L'homme est hagard, seul dans la tourmente, coincé entre deux femmes, piégé par ses deux femmes.
- Allison, c'est un accident, un accident. Mon dieu c'est un accident. Je t'aime Allison, j'aime ta mère.
La voix quitte le français pour reprendre des accents catalans. Le matador, enlace sa fille. Elle se débat, se tord de douleur, se dégage.
- Mais qu'est ce que tu fais, tu me fais mal, lâche moi, j'ai dis, lâche moi. J'appelle la police, lâche moi.
Les bras puissants se font encore plus pressant, plus serrant...
- Allison T'estimo, T'estimo, perdoneu, perdoneu ... ...
Cette fois-ci l'étreinte est brisante, étouffante, tuante...
- Lâche moi...
Allison, n'a pas le temps de finir sa phrase, dans un crissement, les mains puissantes ont brisés la nuque de la frêle jeune fille. Elle s’effondre à son tour comme une poupée de chiffon, comme la Barbie qu'elle rêvait d'être. Sa vie timide s'achève ici, comme dans une sitcom.
Paco vient de tout perdre, sa vie, sa fille, sa femme, son honneur. Pourtant, qu'il avait fière allure, ce légionnaire, du temps de sa splendeur. Des yeux ravageurs, un sourire carnassier, un corps puissant et surtout la touche finale de l'uniforme complétait la panoplie irrésistible de cet homme si désirable pour les femmes. Il les a aimé ces femmes, si tendres, si lascives, si sensuelles, mais si incompréhensibles, lui l'espagnol, ce macho puissant à qui rien ne résiste. Il aimait séduire, charmer, enjôler, et posséder ces femmes si soumises. Il regarde ces deux objets de désirs déchues sur le sol, sans sang, sans larmes. Il est là, accablé face à son destin, il rejette la faute, il nie, il crie son innocence, il crie en silence.
Le 5 août au matin, Francisco s'est donné la mort dans sa caserne, par amour et fierté. Il n'a rien avoué pensant partir avec son lourd secret dont la vérité est si lisible et si simple. Cette tragédie moderne et banale a fait l'actualité de l'été, ravageant une famille, durant un simple concours de miss France désuet et suranné. Ces vies, nous furent dévoilées sans pudeur, sans respect, à longueur de journaux télévisés et de pages facebook. Rien ne nous a été épargné, rien ne nous a été caché, l'exhibition fut totale et vulgaire, pathétique et sensationnelle. Il en est ainsi des drames modernes, en voici ma libre interprétation très romancée mais respectueuse de ces êtres fracassés, comme un témoignage, une pensée...