Le présent n'est que le futur passé...
2 Juin 2013
« Like a virgin, touched for the very first time. Like a virgin, when your heart beats, next to mine ». Nous étions tous un peu vierge lorsque le Virgin Mégastore des Champs Élysée a ouvert ses portes en 1988. Seuls les habitués du HMV Shop de Londres savaient à quoi ressemblait un temple dédié à la consommation. Car ce n'était pas un magasin, c'était un temple qui s'ouvrait là, sous nos yeux émerveillés. Virgin MEGA STORE en lettre rouge écarlate allait animé pendant de nombreuses années cette avenue abandonnées aux touristes.
Marbre, colonnes, escalier monumental, toute la grammaire architecturale, dédiée au temples grecques, se trouvait ici concentrée en plus étincelant et en plus clinquant. A tout instant nous pouvions nous imaginer voir surgir Indiana Jones avec son fouet et son légendaire chapeau, échapper à ses assaillants dans ce temple maudit. Entrer dans le temple était le passage obligé pour tout passionné de musique. En un instant la FNAC de la rue de Rennes faisaient pâle figure et les petits disquaires de quartier à jamais engloutis par ce Mégastore. Dans ce temple nous étions les simples disciples dévoués et soumis du Dieu de la consommation.
Car si il y a bien un moment phare dans l'histoire du lieu, ce furent les lancements de produits et les sorties de disques ou de films. Je me souviens encore des files d'attentes à minuit devant le magasin pour la sortie d'un téléphone américain ou d'une console de jeu japonaise. Il y avait de la frénésie et du délire dans ces foules, qui habituellement se voyaient à New York Londres ou Tokyo. Paris avec son Virgin Mégastore faisait lui aussi parti des grands et le passage obligé des stars de RnB, de Rap et de Rock. Nous aimions vibrer ensemble, au cœur de l’événement sur la « plus belle » avenue du monde. Le jour de la mort de Michael Jackson, des milliers de fans en pleurs sont venus à sa mémoire devant le Virgin.
1988 coïncidait miraculeusement avec l'explosion du CD audio, et Virgin était le seul magasin en France à distribuer autant de titres quand la FNAC vendaient encore massivement des 33 tours. Je me souviens très bien avoir régulièrement demandé aux vendeurs, quand des imports japonais de Madonna allaient arriver. De mémoire Virgin était le seul endroit où l'on pouvait avoir le CD des musiques de jeux vidéos. En moins d'une année, Virgin était incontournable et irrattrapable. Ouvert tous les jours jusque à minuit puis rapidement le Dimanche, c'était LE lieu de rdv, LE lieu où aller, Le lieu où acheter et LE lieu où se montrer.
Associé à ce lieu emblématique il y avait aussi le très fantasque Richard Branson, fondateur du Label Virgin et gourou respectable de la couronne britannique. A chaque fois qu'il apposait son label sur quelque chose, immédiatement un formidable succès s'en suivait. Créateur de génie, et VRP de talent, il était sa marque et Virgin son tatouage indélébile. Virgin Cola, Virgin Mégastore, Virgin books, Virgin music, Virgin racing, Virgin Radio, Virgin Média, Virgin Atlantic, Virgin Mobile, Virgin Interactive etc donnaient l'illusion d'un empire tentaculaire et puissant alors qu'il n'en était rien. Un sticker rouge sang sur une activité n'a jamais fait une entreprise et encore moins un empire.
Aussitôt créé, marqueté et promotionné, la label Virgin était immédiatement revendu à un industriel qui reversait une licence à Richard Branson. Il n'y a jamais eu d'empire Virgin, mais juste une foison de noms et de propriétaires habillant souvent des coquilles vides ou peu rentables qui fermèrent ou se firent racheter les unes après les autres. Les plus gros morceaux appartenaient au groupe Lagardère dont le dirigeant très occupé par ses affaires de cœur, géra l'affaire avec désinvolture. Un jour où l'autre Virgin allait fermer, avec l'arrivée du dématérialisé, Virgin devait fermer. Comme un père Noël, le Gourou fondateur fuyant toutes responsabilités s'en est aller à la conquête spatiale, sur son Virgin Galactic, laissant sur le carreau des milliers de petits lutins.
La lourde porte du coffre de l'ancienne banque Sudameris, ancien propriétaire des lieux, allaient définitivement se refermer. Avec elles, se sont 30 ans de mémoires, de souvenirs, de musiques, de personnalités qui avec elles se sont éteintes. Paris n'a plus de temples de la consommation en dehors de ceux créés au XIX ième siècle. C'est en Asie que l'on trouve désormais ces Megastores et Malls immenses dédiés au luxe, aux marques, aux parfums mais plus ni à la musique ni à la littérature. Maintenant les FNAC tentent de survivre en vendant des machines à café et plus personne ne veut reprendre cet immense vaisseau vide qui apparaît comme un boulet. Ce lieu va redevenir vierge...