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Eric Leguay, ma vie numérique

Le présent n'est que le futur passé...

« Le jeu vidéo français est presque mort, mais il bouge encore »

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Alors que vous êtes en plein cours avec vos étudiants de l'ENJMIN, la plus importante école de jeu vidéo français, la nouvelle tombe sur vos modernes téléscripteurs : Le jeu vidéo français est presque mort. A 25 ans, après plusieurs années d'études, de frustrations, d'envies, de passions, d'heures passées à gamberger sur l'avenir de votre métiers, la sentence est péremptoire. Un article du très révérencieux journal « Le Monde » achève de vous abattre, remuant au passage un peu plus le couteaux dans la plaie. Il faut dire que ce genre de raccourci venant d'un média lui même mourant est forcément amusant. Dans ce jeu de massacre, c'est le moins mourant des deux qui tue l'autre. Pourtant je partage certaines des intentions de cet article : la réussite de ce secteur.

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Avec toute l'affection que je porte à Olivier Mauco, je viens apporter ma très modeste contribution et mon point de vue à ce débat, franco-français. N'étant pas le plus « référent » du secteur mais malgré tout très actif, impliqué et passionné, il convient de réagir à ce discours « négativiste » ainsi qu'aux propositions faites. Ce que j'aime dans ce secteur d'activité est que ce débat sur l'annonce de sa mort est récurrent, au point d'avoir l'impression d'un retour vers le futur permanent. Pouvoir revivre et ressusciter étant la base même d'un bon gameplay, le modèle économique du secteur semble adhérer à ce principe. Déjà sous Raffarin, il y a 10 ans, ce débat était récurrent, sur la viabilité économique du secteur. A coup de millions d'euros, la situation n'a pas évoluée ou si peu, que 10 ans après, les mêmes questions se posent mais plus avec les même acteurs.

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La structure de ce secteur économique est très paradoxale, d'un coté il y a un foyer de jeunes talents formés et compétents qui tentent l'aventure où partent à l'étranger, de l'autre il y des éditeurs sains et d'autres véreux, mais peu nombreux pour absorber toute cette main d’œuvre compétente. Nous sommes donc en surcapacité de production au regard du marché qui lui même cherche sa rentabilité et sa stabilité. Ajouter à cela, un climat délétère en France pour tout ce qui touche au numérique, une détestation ou une incompréhension du politique (cela c'est grandement amélioré depuis 1an) et pire encore une frilosité des investisseurs et des banquiers sans limites. Le jeu vidéo n'est pas rentré dans un cercle vertueux et cela n'a rien à voir avec les coûts de production. Le jeu est une industrie du loisirs qui a une dimension technologique, rien de bien grave en somme. Nous sommes capables de réussir dans la technologie via de grands prestataires informatiques et dans le loisirs grâce à notre industrie culturelle. Marrions les...

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Il m'arrive de me demander parfois, pourquoi le malade bouge encore puisque tant de gens veulent sa mort. S'il n'y avait pas ces joueurs curieux et ces passionnés prêts à tout les sacrifices, en effet le jeu vidéo français aurait disparu avec la mort d'Infogrames. La première constatation qui frappe, est l'absence de modestie du secteur et du politique lorsqu'il s'agit d'aborder les questions de marché et de structures. Nous sommes un tout petit pays qui ne peut et ne pourra jamais rivaliser avec les USA, le japon ou la Chine. Au lieu de jouer la grenouille de la fable essayons de nous adapter au marché européen, sur des devices accessibles avec en effet ce que nous savons faire le mieux, la « French Touch ». Après tout dans le secteur musical, nous réussissons très bien ce pari. Orienter sa démarche vers le joueur et les joueuses vers les nouvelles formes de jeux, devançant en effet les usages et l'esprit de gamification de notre société, sont des premières pistes.

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Encore faut-il que cette créativité s'exprime dans des studios adossés à des éditeurs compétents et curieux. Comme notre marché est ridiculement petit et que les acteurs sont peu enclins à l'exportation intra européenne, l'entonnoir déborde et reflue. Vous pouvez ajouter à cela l'arrivée chaque année, de centaines d'étudiants formés dans les très nombreuses écoles dites de « jeu vidéo » qui fournissent à très bas prix, une main d’œuvre faite de stagiaires. Il faut de l'excellence dans les écoles, pas de la quantité. Après tout les écoles de « Haute gastronomie » savent vendre notre savoir faire dans le monde entier, notre système universitaire dédié au jeu vidéo pourrait s'en inspirer. Les étudiants sont réceptifs à cette ouverture d'esprit à la fois à l'ENJMIN ou à IDE de Gobelins que je connais bien.

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Mon seul et unique conseil pour que renaisse une nouvelle fois ce secteur est une dose de modestie et de pragmatisme des opérateurs en regardant les voies de succès d'autres domaines, et en privilégiant un modèle économique viable et stable avec une structuration légitime . Si le modèle est celui du studio/éditeur, favorisons les rapprochements si au contraire le modèle audiovisuel s'impose, alors choisissons le plus efficace et évitons ces vas et viens permanents et déstructurants. Pendant cela je retourne faire des petits Mickeys avec mes étudiants, en tentant une dernière fois de transmettre ma foi et ma passion en évangéliste du jeu que je suis...

 

Merci aux étudiants M1 en GD de l'ENJMIN en cours avec Thierry Perreau...

 

http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/05/02/l-avenir-du-jeu-video-francais-est-dans-la-creation-pas-dans-la-technologie_3169982_3232.html

 

Déjà dans le passé...

http://www.zdnet.fr/actualites/jeux-video-raffarin-debloque-une-aide-d-urgence-d-un-million-d-euros-2126073.htm

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O
<br /> Je partage pleinement ton interrogation finale : sommes-nous prêts à nous remettre en cause. Avec en filigranne deux choses : la professionalisation et la "politisation". <br /> <br /> <br /> Par professionnalisation, j'entends surtout, les compétences hors création/développement, qui est pourtant le nerf de la guerre de l'industrie : le marketing, la gestion, les rh, la<br /> communicaiton, le juridique, etc. La plus grosse difficulté est qu'avoir un studio c'est avoir une boite. Avoir les compétences pour gérer une boite et gérer un pool de créa ou dev sont des<br /> métiers très différents. Et pourtant nécessaires. Clairement, le niveau d'étude des entrants (hors enjmin et IDE) est trop bas dans les écoles de jeu pour assumer ces fonctions. Comme disait<br /> Genova Chen, il y a deux "sortes" de lead GD : la manager.producer et le réalisateur. Il faudrait arriver à ce qu'à l'échelle d'une petite structure on mixe ces compétences. <br /> <br /> Sur la politisation, je ne dis pas qu'il faut un syndicalisme fort, il y  a un gradient jusqu'à l'industrie de passion où chacun accepte n'importe quoi. Autant la représentation syndicale<br /> fonctionne au niveau nusiness, autant au niveau RH, il n'y a rien, faute à un taux de chômage important, une culture du silence et du mystère. De plus, en ayant endu une indsutrie du rêve, les<br /> boites n'ont pas besoin de travailler la marque employeur : leurs jeux sont le meilleur outil de recrutement. C'est aussi lié à des erreurs historiques, notamment l'abandon du droit d'auteur des<br /> personnels (sous quelque forme que ce soit) pour tout donner à la société produisant le jeu. <br /> <br /> <br /> Reste qu'avec ce qui se passe outre-atlantique, notamment le mouvement 1reasonwhy, les départs de gros GD pour fonder des studios alternatifs, le ras le bol lors du dernier e3 des journalistes<br /> devant les énièmes trailers vendant la violence, sont des signes d'une crise profonde de notre secteur (au niveau global, pas franco-français).  Attention, ce n'est pas une crise que<br /> économique, c'est une crise professionnelle, qui est surtout marquée par une évolution des frontières du jeu.<br /> <br /> <br /> Je pense sincèrement que nous sommes à un tournant du médium : passé le premier âge technicien, où on imite les autres médias (le cinéma des débuts dans les foires qui imite les fééries<br /> mécaniques) pour ensuite penser les propriétés propre de notre media. Hollywood a connu semblable crise dans les années 1950s, et a eu comme solution de faire des films mettant en scène le<br /> quotidien, les problèmes de chacun (le "problem-film"). En France (et au Japon) nous avons eu la fameuse "nouvelle vague". Dans tous les cas, le renouveau s'est fait par la création et le contenu<br /> politique, social, culturel, et non plus le contenant, et l'imitation technique d'autres formes (ce qu'on appelle l'art d'emprunt).<br /> <br /> <br /> Cela nécessite aussi "d'éduquer" les goûts, et en première ligne ceux du public biberonné à mettre au dessus de tout la qualité graphiques. On le voit  les critiques, si elles reconnaissent<br /> une DA, ne peuvent s'empêcher de faire un test auto-moto avec le nombre de poly, le clipping (old school) et autes bugs. Les choses évoluent en interne, les vieux joueurs ont acquis la culture<br /> ludique nécessaire pour ne pas tomber en extase devant le dernier frosbyte. <br /> <br /> <br /> C'est dans cette perspective que je prône la création, comme positionnement stratégique. J'y vois une opportunité réelle pour la France, de toutes façons qu'avons-nous à perdre?<br />
Répondre
O
<br /> Merci Eric pour ce post en réponse. Si le jeu est vidéo est mort - je reconnais l'expression provocante - c'est pour mieux<br /> laisser la place à une nouvelle génération. <br /> <br /> <br /> Je tenais juste à réaffirmer que mon intervention n'avait nullement pour but d'être pessimiste mais au contraire montrer qu'il y<br /> a plein d'opportunités. Cela a peut-être été maladroitement exprimé, mais je suis plutôt optimiste au regard des mouvements du secteur. <br /> <br /> <br /> Nous sommes à une période charnière du jeu vidéo, c'est une véritable chance. Et j'aimerai qu'on prenne le temps d'y réfléchir,<br /> surtout que les politiques des 10 dernières années (depuis le rapport fries) n'ont rien donné.<br /> <br /> <br /> Hasard du calendrier, un article sur le renouveau du jeu vidéo à Chicago, haut lieu passé du jeu mécanique et de l'arcade, qui<br /> grâce au jeu indépendant connaît un second souffle. <br /> <br /> <br /> Nous avons ces talents, tant ceux qui sont restés depuis 30 ans, que ceux au sortir de nos écoles, il faut les aider à se<br /> structurer et survivre, ne pas les étouffer sous les charges, faciliter la coproduction quand ils n'ont pas la techno ou des ressources humaines. Mais par contre, l'abattement qui derait être<br /> massif devrait aussi être tourné vers la TPE  et les relations entre elles pour éviter des captations -phénomène classique en France).  <br /> <br /> <br /> Je crois sincèrement qu'un écosystème solide pourrait émerger avec une forte circulation des compétences et des milieux (techno<br /> et artistique non JV), et qu'un tel mélange signifierait des beaux taux de croissance. Et surtout on pourrait attirer les talents étrangers, certes des petites structures, mais avec un expérience<br /> dans l'indsutrie qu'ils quittent de plus en plus pour tenter leur chance. <br /> <br /> <br /> En tous cas, si on peut en discuter avant tout, collectivement, ça serait déjà un grand pas. <br /> <br /> <br /> Olivier<br />
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E
<br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Merci Olivier également pour cette longue réponse en forme de discussion constructive. J'aime à débattre de ce sujet et à ma manière, trouver des voies de succès<br /> et des voix de soutien. Le sujet est brûlant et la moindre discussion tourne souvent rapidement au pugilat, comme si le match se jouait entre l'OM et les PSG mais sans l'argent des Qataris. Tu as<br /> accès aux grands médias ce qui n'est pas mon cas, mais c'est souvent vers moi qu'à la fin se retourne les étudiants et les professionnels du secteur pour avoir mon avis ou mon sentiment. Le jeu<br /> vidéo français n'a jamais trouvé ni son modèle ni son cycle vertueux. Je l'ai toujours connu en crise, en situation d'agonie réelle ou simulée sous perfusion dont on attend la main du Docteur<br /> House, pour débrancher le tuyau et abréger ses souffrances. Pourtant c'est pas faute de conseils, d'expertises, de colloques et de réunions ministérielles pour aider le malade que tous les Argons<br /> disponibles étaient prêts à saigner. Mais est ce que le malade est prêt lui même à se sauver ? à ce réformer ? À changer de modèle ? À revoir sa stratégie ? Je n'en suis pas<br /> certain. Comme toujours, à la Française, c'est vers l'état que l'on se tourne, pour mieux ensuite lui rejeter la faute de notre immaturité à s'organiser... Au plaisir de poursuivre cette<br /> passionnante discussion...<br /> <br /> <br /> <br />