Le présent n'est que le futur passé...
6 Mai 2013
Alors que vous êtes en plein cours avec vos étudiants de l'ENJMIN, la plus importante école de jeu vidéo français, la nouvelle tombe sur vos modernes téléscripteurs : Le jeu vidéo français est presque mort. A 25 ans, après plusieurs années d'études, de frustrations, d'envies, de passions, d'heures passées à gamberger sur l'avenir de votre métiers, la sentence est péremptoire. Un article du très révérencieux journal « Le Monde » achève de vous abattre, remuant au passage un peu plus le couteaux dans la plaie. Il faut dire que ce genre de raccourci venant d'un média lui même mourant est forcément amusant. Dans ce jeu de massacre, c'est le moins mourant des deux qui tue l'autre. Pourtant je partage certaines des intentions de cet article : la réussite de ce secteur.
Avec toute l'affection que je porte à Olivier Mauco, je viens apporter ma très modeste contribution et mon point de vue à ce débat, franco-français. N'étant pas le plus « référent » du secteur mais malgré tout très actif, impliqué et passionné, il convient de réagir à ce discours « négativiste » ainsi qu'aux propositions faites. Ce que j'aime dans ce secteur d'activité est que ce débat sur l'annonce de sa mort est récurrent, au point d'avoir l'impression d'un retour vers le futur permanent. Pouvoir revivre et ressusciter étant la base même d'un bon gameplay, le modèle économique du secteur semble adhérer à ce principe. Déjà sous Raffarin, il y a 10 ans, ce débat était récurrent, sur la viabilité économique du secteur. A coup de millions d'euros, la situation n'a pas évoluée ou si peu, que 10 ans après, les mêmes questions se posent mais plus avec les même acteurs.
La structure de ce secteur économique est très paradoxale, d'un coté il y a un foyer de jeunes talents formés et compétents qui tentent l'aventure où partent à l'étranger, de l'autre il y des éditeurs sains et d'autres véreux, mais peu nombreux pour absorber toute cette main d’œuvre compétente. Nous sommes donc en surcapacité de production au regard du marché qui lui même cherche sa rentabilité et sa stabilité. Ajouter à cela, un climat délétère en France pour tout ce qui touche au numérique, une détestation ou une incompréhension du politique (cela c'est grandement amélioré depuis 1an) et pire encore une frilosité des investisseurs et des banquiers sans limites. Le jeu vidéo n'est pas rentré dans un cercle vertueux et cela n'a rien à voir avec les coûts de production. Le jeu est une industrie du loisirs qui a une dimension technologique, rien de bien grave en somme. Nous sommes capables de réussir dans la technologie via de grands prestataires informatiques et dans le loisirs grâce à notre industrie culturelle. Marrions les...
Il m'arrive de me demander parfois, pourquoi le malade bouge encore puisque tant de gens veulent sa mort. S'il n'y avait pas ces joueurs curieux et ces passionnés prêts à tout les sacrifices, en effet le jeu vidéo français aurait disparu avec la mort d'Infogrames. La première constatation qui frappe, est l'absence de modestie du secteur et du politique lorsqu'il s'agit d'aborder les questions de marché et de structures. Nous sommes un tout petit pays qui ne peut et ne pourra jamais rivaliser avec les USA, le japon ou la Chine. Au lieu de jouer la grenouille de la fable essayons de nous adapter au marché européen, sur des devices accessibles avec en effet ce que nous savons faire le mieux, la « French Touch ». Après tout dans le secteur musical, nous réussissons très bien ce pari. Orienter sa démarche vers le joueur et les joueuses vers les nouvelles formes de jeux, devançant en effet les usages et l'esprit de gamification de notre société, sont des premières pistes.
Encore faut-il que cette créativité s'exprime dans des studios adossés à des éditeurs compétents et curieux. Comme notre marché est ridiculement petit et que les acteurs sont peu enclins à l'exportation intra européenne, l'entonnoir déborde et reflue. Vous pouvez ajouter à cela l'arrivée chaque année, de centaines d'étudiants formés dans les très nombreuses écoles dites de « jeu vidéo » qui fournissent à très bas prix, une main d’œuvre faite de stagiaires. Il faut de l'excellence dans les écoles, pas de la quantité. Après tout les écoles de « Haute gastronomie » savent vendre notre savoir faire dans le monde entier, notre système universitaire dédié au jeu vidéo pourrait s'en inspirer. Les étudiants sont réceptifs à cette ouverture d'esprit à la fois à l'ENJMIN ou à IDE de Gobelins que je connais bien.
Mon seul et unique conseil pour que renaisse une nouvelle fois ce secteur est une dose de modestie et de pragmatisme des opérateurs en regardant les voies de succès d'autres domaines, et en privilégiant un modèle économique viable et stable avec une structuration légitime . Si le modèle est celui du studio/éditeur, favorisons les rapprochements si au contraire le modèle audiovisuel s'impose, alors choisissons le plus efficace et évitons ces vas et viens permanents et déstructurants. Pendant cela je retourne faire des petits Mickeys avec mes étudiants, en tentant une dernière fois de transmettre ma foi et ma passion en évangéliste du jeu que je suis...
Merci aux étudiants M1 en GD de l'ENJMIN en cours avec Thierry Perreau...
Déjà dans le passé...