Le présent n'est que le futur passé...
9 Mai 2008
Joli mois de mai 2008, joli mois de mai 68, joli mois de mai 2006, joli mois de mai 1986, joli moi de mai 2002, joli mois de mai 1984, joli mois de mai 1976… ces dates s’égrainent dans nos mémoires collectives comme autant d’évènements pré-révolutionnaires, combatifs et festifs. Que le sujet de manifester soit la loi Devaquet, la loi Savary, la loi Saunier-Seité, le CPE, Le Pen, le plan retraite de Raffarin, et d’autres encore, nous nous sommes tous un jour retrouvés dans la rue à battre le pavé. Jeunes, vieux, de gauche, de droite, sous le soleil et sous la pluie, nous avons tous, hurlé des chansons aux rimes riches, et brandi des banderoles « loisirs créatifs ».
La manif en France est élevée en art, c’est un folklore national qui se pratique chaque année à l’arrivée des beaux jours. Non pas que les sujets de manifester ne soient pas légitimes et loin de moi l’idée de réprimer ce défilé festif. Je ferai ici le distinguo entre la grève qui est un droit et la manifestation qui est une représentation. Je vous propose d’en faire avec humour l’autopsie. Afin d’assumer publiquement mon attachement à ces épanchements collectifs je vous propose des pistes de régularisation du phénomène.
Prenons en ce mois de mai comme sujet d’étude, nos Lycéens qui jaloux de leurs aînés étudiants, songent sérieusement à battre le pavé dans la durée. Que réclament-ils ? Plus de profs, oui vous ne rêvez pas, ils veulent plus de profs. Les mêmes qui détestent les cours de math ou d’Anglais et qui sont prêts à sécher la gym et toutes les matières ennuyeuses réclament plus de profs. Alors que la côte de popularité des enseignants du secondaire n’est pas au beau fixe et que chacun à des centaines d’anecdotes sur tel prof de math aliéné, de prof d’anglais parano, prof d’histoire en tôle et prof de physique sadique, eux veulent plus de profs.
Car en pleine révolution numérique, nous aurions pu imaginer, voir espérer que cette génération élevée à l’ipod, réclame des PC, des cours de jeux vidéo, des cours en ligne, de l’enseignement en webcam, des blogs, des cours téléchargeables en MP3, de l’autoévaluation, du travail collaboratif en Wiki, pour justement avoir moins de profs, c’est raté.
Pour réussir une bonne manif, il faut donc du monde, beaucoup de monde on parlera de « mobilisation », sur le net on parle de « buzz ». Ensuite il faut un sujet de mécontentement ou un ministre à l’allure patibulaire, surtout réactionnaire. En écrivant cela je m’aperçois que j’aurai pu être ministre, et que Jack Lang n’avait pas le profil. Ensuite il faut de l’espace et une organisation rodée. Dans le privé, pour ce genre d’évènement, une entreprise ferait appel à une agence d’évènementiel comme MarketPlace. Un bon syndicat ou un parti politique d’extrême gauche fera largement l’affaire. Ils ont des packages « manifestation » livrables clés en main avec brassards, slogans, chansons, fanions, banderoles, ballons, sifflets, discours, service d’ordre, invités people, gestion du cortège, des transports des troupes etc etc etc. Nos lycéens n’ont pas encore accès à ce professionnalisme.
Dans un pays où le dialogue social est une menterie, grèves et manifestations sont les seuls moyens de pression d’un groupe social. Les Américains font du lobbying, les Italiens la grève du zèle et nous des manifs. La manifestation est donc un rite initiatique au même titre que le passage du bac ou que l’obtention du permis de conduire. Chaque petit Français doit avoir dans son patrimoine culturel la capacité à manifester. Parce que voyez-vous la manifestation est populaire. Elle rappelle à chacun notre passé révolutionnaire et en chacun de nous sommeille un Gavroche, sifflotant avant de mourir « Je suis tombé par terre, C'est la faute à Voltaire, Le nez dans le ruisseau, C'est la faute à.. ».
Si la « manif » est populaire c’est aussi parce que parfois c’est le seul moment joyeux et convivial d’une ville entre le marché de Noël et le 14 Juillet. Cela fait long, alors, il faut bien s’amuser. A Paris cela est encore plus caricatural car le seul défilé populaire de masse qui ne soit pas contestataire est la GayPride. Comme en 1968 la France de 2008 s’ennuie, alors elle applaudit, soutient, encourage la jeunesse à descendre dans la rue. Cela émeut la mamie qui vécut la libération, le Papy retrouve 36, les parents vivent l’esprit de 68 et le tonton s’électrise au souvenir du bataillon des voltigeurs de Pasqua.
La manif n’engendre pas que des élans de joies et de passions. Avec la triste Affaire Malik Oussekine, plus aucun gouvernement ne prendra l’initiative de briser un mouvement par l’affrontement. Nos manifestations sont donc pacifiques. C’est tout juste si un « sitting » en gare ou au croisement d’une rue, les CRS sortent leur matraque. Leur dernier excès de violence fut réservé aux manifestants protibetains. C’est vous dire si pour la maréchaussée une belle manifestation est l’occasion de se dégourdir les jambes, la matraque et de faire rutiler son beau matériel. Une manif même réussie est l’occasion souvent d’un énorme embouteillement, ce qui devient de plus en plus intolérable à 1,50 euros le litre d’essence. C’est d’autant plus contradictoire que les jeunes générations prônent le développement durable. C’est aussi un ralentissement de l’activité et un pourrissement du moral des ménages. Il faut donc organiser ces mouvements et conserver leur caractère festif et contestataire.
A l’image de Rio qui pour son défilé de Samba du Carnaval a construit son Sambadrome, je propose que les grandes villes, Paris en tête, réservent un « boulevard de mai » ou « défilodrome ». Cet espace clos, peut être même payant. A l’image des Patis et foiraille du XIXième siècle, ils pourraient accueillir la foule des manifestants et des spectateurs. La billetterie d’entrée résoudrait immédiatement le comptage stérile entre organisateurs et forces de l’ordre. Chaque groupe social désirant manifester serait invité à se produire dans cette enceinte, d’où le public pourrait noté la ferveur, les slogans, les chants, les costumes et ainsi élire la meilleure manif de l’année. Cela donnerait l’occasion à TF1 de positiver un mouvement, l’audimat pourrait remplacer le comptage des manifestants. Imaginer un instant, lire le matin dans votre quotidien, que le défilé des ouvriers de Gandrange a réuni 10 millions de spectateurs et obtenu 63% de part de marché chez la ménagère de moins de 50 ans. Cela éviterait sans doute au Président de dire des âneries.
Ensuite puisque cette activité semble particulièrement appréciée et formatrice chez les jeunes générations pourquoi ne pas instituer des cours de manif. Car une manif en terme de gestion humaine, de management de groupe, d’organisation de production, de gestion de crise, de communication, d’élocution, de rhétorique, de créativité verbale, de poésie, de contrôle de soi, d’atelier créatif, de stratégie personnelle est formatrice. Au bac, l’épreuve « Manif » aurait vraiment fière allure, avec des épreuves chronométrées de constructions de banderoles, d’épreuves sur table en rédaction de slogans, d’entretiens individuels en discours devant une foule. Je pense même que le simple fait de rendre cette matière obligatoire comme la biologie, arrêterait immédiatement l'envie de manifester. La preuve qu'une manif est formatrice est que nous pouvons tous admirez le superbe parcours médiatique, professionnel et politique de Daniel Cohn-Bendit ou de Bruno Julliard…
28 mars 2006 - 3 millions de manifestants selon les organisateurs et 1 055 000 selon la police contre la LEP (loi égalité des chances) de Dominique de Villepin.
18 mars 2006 - 1,5 million de manifestants selon les organisateurs et 500 000 selon la police contre la LEP (loi égalité des chances) de Dominique de Villepin.
7 mars 2006 - 1 million de manifestants selon les organisateurs et 400 000 selon la police contre la LEP (loi égalité des chances) de Dominique de Villepin.
4 octobre 2005 - 1 million de manifestants selon les organisateurs et 400 000 selon la police pour l'emploi et le pouvoir d'achat.
10 mars 2005 - 1 million de manifestants selon les organisateurs et 500 000 selon la police pour les salaires et les 35 heures.
3 juin 2003 - 1,5 million de manifestants selon les organisateurs et 455 000 selon la police pour les retraites.
13 mai 2003 - 2 millions de manifestants selon les organisateurs et 1 million selon la police contre le Plan Raffarin sur la réforme des retraites.
1er mai 2002 - 1,3 million de manifestants selon les organisateurs contre l'extrême droite de Jean-Marie Le Pen parvenu au second tour de l'élection présidentielle.
12 décembre 1995 - 2,2 millions de manifestants selon les organisateurs et 1 million selon la police contre le Plan Juppé sur la réforme du financement de la Sécurité sociale
16 janvier 1994 - 1 million de manifestants selon les organisateurs et 260 000 selon la police contre la révision de la loi Falloux sur le financement de l'école privée.
24 juin 1984 - 1,5 million de manifestants selon les organisateurs et 850 000 selon la police pour la défense de l'École privée, contre le projet de loi socialiste sur l'École laïque.
mai 1968 - 1 million de manifestants selon les organisateurs, pour soutenir le gouvernement Pompidou et le président De Gaulle, après les événements de Mai 68.
Attention les photos furent prises sur le vif durant les manifestations lycéennes de Poitiers. Au titre du droit à l'image, si vous vous reconnaissez et ne souhaitez pas apparaitre sur mon blog, sur simple demande je retirerai la photo.