Le présent n'est que le futur passé...
5 Mai 2007
Ils avaient prédit qu’elle se briserait en mille morceaux, que son éclat se fanerait, que sa brillance cachait le néant. Les premiers furent les éléphants qui , lancés dans ce magasin de porcelaine, piétinèrent sa blancheur et égratignèrent son émail. Elle eut beau se rendre en Chine, terre de ses inventeurs mais le vert céladon ne fit pas taire ses détracteurs. Rien n’y fit, la porcelaine est résistante, résistante aux chocs, à la chaleur, à l’usage. Aussi bien à l’aise sur la table du petit déjeuner que dans les dîners de famille. Elle aime à nourrir bébé dans son écuelle de baptême comme elle affectionne les repas de mariage. Elle est élégante, sobre et intemporelle, ses marraines s’appellent Sèvres, Limoges, Saxe.
Mais en face qu’avons-nous ? La faïence, rugueuse et épaisse. Nous aurions pu avoir le cristal de bohème étincelant et noble mais non, nous avons le pot de chambre qui aime à recueillir la merde et s’en délecte parfois. De son œil sombre la faïence surveille les dessous de lit et conjure le confort moderne des wc post soixante-huitards. La faïence se plait à être rustique et française, elle est massive et sans chichi. Elle est brutale et mal dégrossie mais ne rechigne jamais à assumer les tâches les moins nobles, les plus rebutantes. Elle sert la soupe aux choux des gens simples et la tarte aux pommes du Dimanche.
Etrange choix que de choisir entre la porcelaine royale et la faïence à goulasch. Car il faut l’avouer, pour troubler le jeu, après le discrédit de la vaisselle recyclable et de la terre cuite paysanne, la vaisselle jetable en plastique orange est venue troubler le jeu. Regardez-moi comme je suis pratique et économique, je me lave d’un peu d’eau et vous accompagne en pique-nique, lançait l’intrus au peuple subjugué d’autant d’agilité. Préférez moi à la porcelaine trop fragile et à la faïence trop vulgaire.
Mais jamais on n’invita le plastique à la table des grands et une terrine ou un cassoulet ne s’accommode pas de sa légèreté. Adieu donc beau plastique rutilant, laissons face à face, se terrasser dans un dîner de pierre, la théière et le pot au lait. Elle siffla et persifla tandis que l’autre feint d’être fragile et poreux. Mais à quoi bon de la vaisselle d’émail quant il est si difficile de la remplir au quotidien ? À quoi sert sa blancheur écarlate contre l’envahissement du plat à tajine ? Que faire de sa solidité quant à la première anicroche les ménages se la jette au visage ? La faïence, ont la connaît et la reconnaît, certes elle nous a fait croire qu’elle était élégante mais personne n’est dupe, c’est dans les toilettes qu’elle est la plus efficace. Son hygiène irréprochable nous a conquis. C’est grâce à elle que nous ne laisserons pas nos toilettes envahir par des wc à la turc ni nos tables par des couscoussières.
Demain avant de mettre le couvert pour votre repas dominical, souvenez vous avec émotion de vos assiettes de grand-mère en porcelaine blanche et filet d’or. Elles traversèrent les guerres et les pénuries et elles furent toujours présentes à chaque évènement. Souvenez-vous, avant de passer à table, que cet art de vivre à la Française, nous le devons à la Marquise de Pompadour qui fonda la manufacture de Sèvres il y a 250 ans…