Le présent n'est que le futur passé...
16 Avril 2020
Comme à chaque annonce de catastrophe prévisible, et de pénurie programmée, nous voyons toujours les même images d'occidentaux se ruant dans les supermarchés, à la recherche de denrées de 1er nécessité. Un ouragan se profile ? Une grève des transporteurs à l'horizon ? Une chute de la bourse en vue ? Des agriculteurs en colère ? Des ronds-point bloqués par les gilets jaunes ? Immédiatement les caddies se remplissent, de pâtes, de sucre, d'huile et de riz. L'occidental qui me manque de rien et dont le dernier souvenir de guerre et pénurie remonte à ses arrières grand-parents adopte se réflexe Pavlovien. Il stocke et fait des provisions, pour la plus grande joie, de Carrefour, Leclerc et Wallmart. C'est irraisonné, vous en conviendrez, mais c'est ainsi. En cette période de pandémie voici que le papier toilette fait son entrée fracassante dans la liste des denrées a stocker massivement.
Je revois encore à la télé, ce reportage façon Groland, d'une famille dont le Caddie charriait des dizaines de paquets de papier toilette. Avaient-ils imaginé que le Corona Virus était une forme d’Épidémie de Gastro ? Que cette famille élevait un troupeau d'éléphants nourris aux dragées FUCA ? Rien de logique dans cette démarche, que je vis se répéter reportage après reportage, en Australie, Gaspésie, Italie, et Tutti Quanti. La chose a de quoi surprendre, et machinalement comme de nombreux contemporains, je me suis précipité pour faire l'état des stocks de la dite denrée. Dieu soit loué, prévenant, j'avais de quoi tenir la guerre de cent ans et peut être même traficoter, comme l'autre passion dévorante de mes voisins après la délation. Par prudence, je ferai le plein de munitions lors de mon prochain passage au Drive.
Nada, rien, Kein, NO TOILET PAPER. Envolé les « LOTUS » et les « Moltonel », disparus des rayons les rouleaux triple feuilles renforcées, parfumées, si douces au toucher. Les rayons sont vides et que très rarement réapprovisionnés, pour qu'immédiatement une foule de Lemmings apeurés s’entre-déchire pour le dernier paquet. Même chez NUTELLA on n'avait pas vu ça. Quelle explication logique à donner ? Vite un Psy passe à la télé pour tout nous expliquer, et blabla régression, blabla stade annal, blabla peur de manquer. Décidément comme pour l'analyse du jeu vidéo, ils sont toujours aussi mauvais. Quand on n'a rien à dire, mieux vaut se torcher. Les internautes avec plein d'humour et de dérision abreuvaient déjà les réseaux sociaux de mèmes et autres parodies. Tandis que les stocks s'accumulaient chez les particuliers, au point de pouvoir reconstruire le mur de Berlin, je m'en allais chercher un début d'explication à se panurgisme de papier.
La toute première évidence qui saute au yeux est le volume du PQ. Pour un poids modeste, il rempli l'espace de nos coffres de voiture, donnant un sentiment immédiat de satiété et de plein doucereux. Ce volume réconforte au moment de passer à la caisse. Pour quelques euros on fait des heureux, rempli que l'on est de ne pas manquer quand les autres denrées sont si chères. Le Papier-Toilette est un peu comme le monceau de Pop-Corn que l'on achète au cinéma. Il rempli d'air l'estomac, ne vous nourrit pas mais donne une satisfaction immédiate de trop plein et de peau du ventre bien tendue. Faire le plein de papier toilette, c'est donc remplir son espace de vide en calmant son angoisse à très peu de frais. On remplit ses placards de rien, son cœur de pas grand chose, son espace vital de confort et de molletonneux. Les derniers interstices de nos vies vides de sens se retrouvent comblées, colmatées avec du papier parfumé et ouaté.
La seconde observation tient à notre statut d'occidental évolué, industrialisé, vivant les derniers soubresauts de l'Empire Américain. Le papier toilette invention américaine, n'est arrivé que très tardivement dans l'Europe d'après guerre. A la fin des années 50, il était encore courant en France de s’essuyer avec un morceau de papier journal découpé en feuilles grossières, accrochées à une ficelle dans la cabane au fond du jardin. Les années 60 et la généralisation de la société de consommation ont vues l’émergence du jetable, PQ, couches, nappes, mouchoirs, assiettes, gobelets, rasoirs comme des éléments clés de notre société dite évoluée. Après tout l'Homme venait de marcher sur la Lune. C'est l’inconscient de ces moments fastes de nos vies qui ressurgit dans cet achat impulsif. Le papier toilette est le dernier survivant de notre société post-industrielle. Résistant et fragile, sophistiqué à durée de vie limitée et usage unique, il sera le dernier petit carré à nous raccrocher à la civilisation, juste avant l'usage des 3 coquillages.
Le dernier point d'analyse est plus tragique et moins romantique, il illustre parfaitement le coup de gueule de feu Jean-Pierre Coffe « C'est d'la merde ». La malle bouffe qui a envahi définitivement les rayons des supermarchés et les rues de nos villes ont transformé les occidentaux en de gigantesques tubes digestifs, ingurgitant et régurgitant après mastications des aliments ultra-transformés remplis de sucres et de graisses saturées. Nous sommes devenus ce que nous mangeons, des vers géants sous perfusion de Coca, MacDo, Oréo, Chocapics, et autres Cheezy Crust, sans autre choix et liberté que de choisir le carré de papier qui servira à nous torcher. Le papier toilette est le linceul qui couvre pudiquement notre statut peu enviable de glouton. Nous exploserons comme dans « Le sens de la vie » après avoir ingurgité le dernier petit carré de chocolat, repus d'avoir échappé au virus. Que sera le Monde d'après ? Si au moins il pouvait instituer et généraliser les toilettes sèches...