C'est la faute d'Internet...

Le feuilleton de l'été s'annonçait pourtant bien, après l'épopée tragi-comique des bleus en Afrique du Sud, nous allions plonger encore essoufflés dans celle de l'affaire Bettencourt. Preuve supplémentaire que la « télé » vit ces derniers instants, elle ne nous passionne plus autour de ses grandes sagas estivales, comme Le Château des Oliviers ou Les Cœurs Brûlés. Les scénaristes et dialoguistes (S'il y en a) de Julie Lescaut  et Une femme d'honneur peuvent prendre des cours. Cette année, l'innovation scénaristique est plus forte et plus bondissante dans une saga autour de L'Oréal. L'affaire Bettencourt, tel est devenu son titre officiel, bien que l'affaire Eric Woerth marche aussi pour qualifier ce que Courteline et Feydeau transcrivaient déjà en 1900. Intrigues, politique, rumeurs, confessions, faux amants, vraie fille bafouée, fric et maître d'hôtel fourbe sont au rendez vous dans un imbroglio digne de Dallas.

Pourtant depuis Scapin, les grands de ce monde devraient se méfier des petites gens. Après la Royauté, la République fut capable d'inventer des sagas plus dévastatrices que l'affaire du Collier de la Reine. Affaire du Canal de Panama, de l'emprunt Russe, affaire Dreyfus, affaire Stavisky, affaire Markovik, affaire Boulin etc etc Nous semblons très bien nous en accommoder. Dans n'importe quelle démocratie, un Ministre en exercice remettant la légion d'honneur au patron de sa femme à qui il avait préalablement demandé de l'embaucher aurait immédiatement été obligé de démissionner, pas chez nous. Dans les grands pays occidentaux, lorsque un soupçon pèse sur un dirigeant, ou un entraîneur de football, il est de bon ton que ce dernier démissionne au nom de l'intérêt général pour apporter des preuves et laver son honneur, pas chez nous. Dans les démocraties occidentales, c'est la presse qui par ses investigations permanentes garantit la transparence aux citoyens, pas chez nous. Dans les régimes parlementaires anglo-saxons, la justice prend immédiatement le relais et par son entière indépendance mène les investigation et fait diligence, pas chez nous. Enfin dans la plupart des pays démocratiques, les affaires politiques sont réglées rapidement en moins de 2 ans, pas chez nous où le non lieu est la règle.

Alors comme vous certainement sous cette canicule, la lecture croustillante et navrante de cette histoire m'amusait et alimentait mes conversations estivales jusqu'au moment où ! le ton se durcit et où Nadine Morano annonça sans rire que les rumeurs provenaient de « sites Internet qui utilisent des méthodes fascistes » et d'un « site de ragots ». Nathalie Kosciusko-Morizet, jusqu'ici bienveillante car intelligente lança que « la calomnie sur le Net n'est pas un modèle économique », et enfin le non bachelier, ceci expliquant peut être cela, Christian Estrosi, réduit Mediapart à « une véritable poubelle du Net ».

J'en suis resté sans voix. Comment des élus de la République, Ministres de surcroît peuvent utiliser comme moyen de défense la dénonciation en ordre de la presse numérique ? comment tolérer un tel amalgame de la part de personnes investies de l'intérêt général ? comment laisser tranquillement bafouer l'expression de la démocratie par l'investigation journalistique ? De quel droit ces personnes interdisent l'accès à l'information, à la transparence du simple citoyen ? car enfin ce n'est pas Médiapart qui a décoré de la légion d'honneur le patron de la femme du Ministre ! ce n'est pas Médiapart qui a dissimulé des comptes en Suisse et une île dans le pacifique ! enfin ce n'est pas Médiapart qui a maintenu au poste de trésorier d'un grand parti, un ministre du budget !

Mesdames et Messieurs les politiques le web n'est pas un outil à votre unique service, comme le fut jadis la télévision. Ici règne le pouvoir et le contre pouvoir au bout du clic. La très grande majorité des citoyens, utilise ce média avec intelligence respect et conviction afin d'alimenter et d'élever le débat que vous même venez sérieusement de dégrader. Mesdames et messieurs les politiques, arrêter de ne voir dans le web que l'outil de recrutement pour favoriser votre élection et ensuite le dénigrer s'il ne correspond plus à vos idées. Je comprends mieux votre permanente nostalgie du Gaullisme où le modèle de journalisme fut le très obséquieux chef de l'Actualité télévisée de la R.T.F, Michel Droit. Nous serons là en 2012 citoyens du web à vous rappeler lorsque vous lancerez vos beaux sites « participatifs » remplis de beaux « LipDub » combien dans vos discours le web fut présenté comme nuisible, mais nous le ferons paisiblement dans les urnes...

Crédit photo. Eric LEGUAY rien de mieux qu'un champ de coquelicots pour calmer les passions