Le présent n'est que le futur passé...
15 Juin 2008
Vous les avez certainement remarqués, ces nombreux photographes, mitraillant la cathédrale et le marché Notre Dame en quête de la photo inédite. Ce samedi c’est tenu à Poitiers le deuxième marathon photo organisé par la ville et la FNAC. Sur des thèmes imposés, « bouge », « Jaune » les candidats en couples, hétérosexués ou non devaient réaliser deux clichés, immortalisant en pixels numériques leur vision de la cité. Les photos retenues et élues seront publiées. Alors en couple, ces fantassins du numérique ont arpentés, armés de leur « Canon », les rues paisibles de Poitiers. Il faut beaucoup de prétention pour s’auto qualifier de photographe, même amateur. La photo fut érigée en art, mais rares sont ceux qui ont l’œil, la vision, le déclic, qui fera l’émotion et donnera le frisson.
Avec beaucoup de modestie je m’essaie parfois à capter l’instant et l’insolite qui m’entoure. Je dégaine volontiers mon mobile, pour figer le dormeur du TGV ou le clin d’œil du moment. Car voyez-vous je n’arrive pas à faire de belles photos, comme celles des magazines. La technique écrase littéralement le sujet et je suis trop expert de Photoshop pour déjouer immédiatement la supercherie. Alors m’envoyer à la chasse à la belle photo est pour moi un exercice impossible. Je ne sais pas faire poser, je ne sais pas photographier, je n’ai pas l’imagination qu’il faut pour anticiper le cliché. Je n’ai pas la vision qu’il faut pour construire le tableau et encore moins la patience pour attendre le moment juste. Alors le « bon dieu » m’a joué un vilain tour, me sachant handicapé du déclic, il a eu la fumeuse idée de m’apporter les sujets sur un plateau.
Me voici donc l’esclave de son humour et de sa perversité. C’est lui qui me fait le témoin de scènes cocasses, du pisseur solitaire au bronzeur badin, car bien souvent ma main sort mécaniquement l’appareil pour geler la pause. Je n’ai pas de talent, je suis juste là au moment opportun, le numérique en main. Dieu est un plaisantin, c’est pour cela que l’on croit en lui, alors si je traverse un parking, même le plus anodin, il en profite pour y glisser ce que personne d’autre que moi n’aurait vu. C’est lui qui m’a fait remarquer de dans cette ville pourtant si peu ensoleillée les étudiants Tshirt VanDutch et lunettes fumés aimaient manifester. Au détour d’une ruelle, derrière la cathédrale, il fait exprès d’abandonner son vélo, sans doute pour parler aux anges, j’en suis le témoin, le rapporteur digital. Alors avec gourmandise j’obéis, le pixélise, je fige l’anecdote, je gèle le superflu.
Une ruelle déserte, un Dimanche matin, le voici, le malin qui sur le pas de la porte d’un miaulement félin fait prendre la pause aux mistigris. D’autres auraient fuit, non ils ont pris la pose comme attendant ma venue depuis si longtemps, je devais être là, seul de chat de Jules a compris le pourquoi. Au moment le plus improbable comme attendre, Hélène, Damien et Elodie sur le Pont Joubert un jour de pluie, il en profite pour mettre mon pas dans celui de mon père. Car chaque photographe en herbe a le souvenir touchant de son premier appareil photo quand papa tenant mon bras réussi a me donner à jamais l’envie de tout stopper pour en avoir une trace sur papier glacé.
De la poésie, il m’en fait trouver à chacun de mes pas, même dans les verrues urbaines de Poitiers. Il me fait dénoncer le laid comme la pénétrante, outrage de la modernité passée, cette véritable saignée défigurante. Si vous ne me croyez pas parcourez mon blog, j’aime à y laisser la trace de son forfait, les découvertes accumulées de son album secret. Cette ville sans cesse je vous la montre au fil de mes posts comme s’il voulait vous la faire connaître. Alors je regrette que tous ces photographes embarqués dans cette aventure soient privés des instants fugaces qu’il me laissa emprisonner sur ma Card-SD. Ils ne verront pas dans leur objectif la neige poudreuse emprisonnée dans la tour de la cathédrale.
Ils ne graviront pas en quête d’absolu, l’escalier montant à l’hypogée, inaccessible graal photographique duquel toute la ville impudique s’offre à vos yeux. Ils ne vibreront pas aux volutes lumineuses des concerts allumés et leurs yeux resteront aveugles aux projections sur les façades enchantées…
Au titre du droit à l'image, si vous vous reconnaissez et ne souhaitez pas apparaitre sur mon blog, sur simple demande je retirerai la photo.