Le présent n'est que le futur passé...
24 Octobre 2021
Il a suffit qu'Emmanuelle Wargon, actuelle Ministre du Logement déclare que le modèle urbanistique de la maison individuelle était un non-sens écologique pour mettre le feu à la toile. En dehors de sa maladresse, son discours est pourtant assez juste et largement partagé. L'étalement urbain des zones pavillonnaires en périphérie des villes à la manière des « Suburb » Américains, génère des besoins et un coup de déplacement trop élevé. Ce modèle de la Maison de Maçon si cher au cœur de la France Giscardienne, imposera aux familles la possession de 2 voitures et la construction d'infrastructures gourmandes en terrains, routes, autoroutes, centres commerciaux, ZUP etc pour une densité de population trop faible. Malgré ces contraintes et le nivellement esthétique de la France couverte de Maisons Phénix néo-régionales sans âme, ni forme, le pavillon restera le modèle plébiscité par les jeunes ménages.
Au moment ou les terrains se font de plus en plus cher et que le déplacement est très coûteux, ce système mérite d'être repensé. Par le plus grand des hasards, je me trouvais à Venise pour la Biennale d'architecture, lorsque la polémique éclata. L'occasion de faire un point sur les tendances urbanistiques et architecturales de l'habitat « vernaculaire ». Histoire aussi de sentir la tendance et regarder les réalisations qui apporteront une solution possible au pavillon de banlieue. La biennale se déroule dans les Jardins de la Biennale ou l'ensemble des pays a son « pavillon » à la manière d'une Expo Universelle, mais également sur le superbe site de l'arsenal entièrement restauré. Partons à la découverte du futur de l'habitat.
De quoi avons nous besoins pour vivre confortablement, d'un toit, d'un accès extérieur, de pièces de socialisation, de chambres et de pièces d'eau, le tout sur une surface réduite pouvant intégrer du stockage et un garage. Les villes très densément peuplées ont souvent répondus à ces exigences comme Tokyo ou Londres. L'idée de base est de maintenir l’individualisation du logement pour se sentir comme chez soi, tout en limitant l'étalement urbain. L'heure n'est donc plus à la concentration urbaine modéliser et synthétisé dans la Machine à Habiter de Le Corbusier à Marseille. La Maison du Fada qui désigne la Cité Radieuse et qui fit malgré lui le modèle des grands ensembles a vécu. Massivement rejeté par la population, même la Chine revient sur ce modèle. La faillite de Evergrande permettra d'abandonné peut-être sur ce modèle concentrationnaire.
Paradoxalement c'est le modèle du Hutong chinois (petit quartier urbain constitué de passages étroits et à ces ruelles avec un habitat enchevêtre mais individuel) qui est représenté comme alternative à l'étalement urbain. En effet, l'habitat reste individuel avec des espaces publics partagés, et privatif au sein d'un quartier favorisant le mélange intergénérationnel sur une surface réduite sans jamais avoir cette sensation de concentration. La majorité des déplacements se font à pied jusqu'à la grande artère qui rassemble les transports publics. Nous pourrions parler d'une ville à la topographie fractale. Les nombreuses maquettes présentées sur ce modèle, peuvent répondre à une densification périurbaines ou un seul pavillon classique entouré d'un jardin pourrait accueillir plusieurs familles.
Autre expérience qui remonte aux années 60 : le concept du « Proliférant », développé par Jean Balladur, architecte de la Grande Motte. L'étalement est cette fois graduel, et l'on passe par enchevêtrement d'habitations individuelles du rez de chaussé à un immeuble de 4 étages offrant de vastes terrasses et des vues cloisonnées. Ce modèle est déjà bien connu en France dans les villes nouvelles, la cité Danielle Casanova de Jean Renaudie à Ivry Sur Seine en est le meilleur exemple. Chaque appartement est différent et par assemblage constitue un tout. Si le modèle des années 60-70 était traité avec brutalisme, des nouvelles réalisations en bois apportent la chaleur et l'esthétique plus avenante.
Continuons notre visite, vers un autre modèle d'élévation intégrant toujours une individualisation de l'habitat, avec une expérience intéressante faite à Beyrouth au Liban. Cette fois ci c'est un immeuble qui conserve une grande flexibilité des surfaces tout en offrant des espaces extérieurs vastes et une façade très animée loin de la monotonie et la répétition des grands ensembles. Lors de l'explosion du port de Beyrouth alors que la majorité des façades avaient été soufflées celle ci résista beaucoup mieux. On imagine aisément un enfant désigner du doigt l'étage où il habite.
Enfin certainement dans la lignée de la Machine à Habiter et du Modulor de Le Corbusier, il y a toujours les partisans de la cellule de vie spatiale anticipant à très long terme les voyages interstellaires. La boucle est bouclée, l'habitat proposé en 2020 ressemble étrangement au utopies des années 60 avec un peu de bois en plus, des toits végétalisés, des matériaux plus écologiques et une frugalité architecturale. Ma grande déception est de constater que tous passent à coté de l'introduction massive de numérique dans l'habitat. Ces maisons n'ont rien de SMART, ni de connectable, de partageable, d'intergénérationnelle, ni d'intelligent dans leur forme ni dans leur mise en réseau social . A l'heure ou l'automobile va se partager, l'habitat ne propose pas de tiers lieux socialisés partageables entre les résidents. Il y a encore plein d'Utopie à écrire.
Venise reste un modèle urbanistique unique et totalement original par sa fragilité, sa beauté, son absence de voitures, sa circulation, sa forme de Médina inviolable, ses ponts, ses places qui s'ouvrent depuis des rues étroites, sa concentration urbaine, et son charme désuet. Le retour en Vaporetto vers l'aéroport qui vous laisse au pied des pistes prouve que cette ville reste encore une Utopie accessible, dont je vous fais partager quelques vues.