Le présent n'est que le futur passé...
3 Octobre 2015
« L'inspiration française », est le sous titre de l'exposition « l'Art dans le jeu vidéo » qui se déroule en ce moment à l'espace Art Ludique de Paris. Il s'agit bien d'une caractéristique du talent français, souvent dénommé « French Touch » par les anglo-saxons, de cet esthétisme poussé et de cette recherche artistique dans les créations vidéo-ludiques. Car ils en ont du talent ces infographistes, ces développeurs, ces animateurs, ces créateurs pour nous plonger dans des mondes imaginaires, réinventer l'histoire, créer des villes, faire naître des personnages et des situations cinématographiques.
Tellement décriée par le monde politique et médiatique qui ne voient dans le jeu vidéo que des créateurs incultes et boutonneux de « petits mickeys », l'industrie du jeu vidéo via ses talents ne cesse de vouloir prouver l'inverse. Quand les « Moranos » de pacotille, n'y voient que violence et addiction, les passionnés que nous sommes y recherche le clin d’œil esthétique, la référence cinématographique, la pâte artistique et l'effet visuel. Pourtant tout part d'un coup de crayon, d'un gribouillis, d'une esquisse sur un bloc Canson. De ce trait naîtra une cité engloutie, un assassin ou un lapin crétin.
Le jeu vidéo n'est pas un art, c'est une expérience de foire, un prolongement interactif de nos rêves et de notre imaginaire. Pourtant pour nous séduire et nous plonger dans le plus profond de nos fantasmes de joueurs, le jeu vidéo utilise et exploite à merveille toutes les composantes artistiques des beaux-Arts. Même si le pinceau et la peinture sont numériques, les œuvres ainsi accrochées dans l'expo montrent tout le talent et la prouesse des infographistes. C'est bluffant murmureront les uns, c'est superbe s'émerveilleront les autres, c'est un tableau, une œuvre d'art, s’esclafferont les badauds. Statufiée et gelée l'illusion est parfaite, de ces œuvres numériques.
Comment pourrait-il en être autrement ? Qui doute de la compétence et du talent des infographistes français ? Qui imagine un instant que ces créateurs ne seraient que de mauvais élèves rejetés par l'ONISEP ? Nous avons la chance d'avoir les meilleurs infographistes du monde, les plus créatifs, les mieux formés, les plus compétents et surtout les plus ouverts et les plus cultivés de la planète numérique. Reproduire et plagier avec amusement les grands maîtres de la peinture, française, flamande, anglaise est le gage de leur prouesse technique, et de leur « savoir-faire ». Mais attention, ces talents ne sont pas des artistes, mais bien des artisans au sens le plus noble du terme qui aiment le bel ouvrage et le travail soigné.
Car quelles références artistiques sont utilisées ? Bien souvent la peinture classique, l'art académique, le moins risqué, le plus identifiable et accepté. Pourtant point de subtilité à la Wateau ni de libertinage à la Boucher dans les traits numériques de ces œuvres pixelisées. Non, c'est surtout un style officiel, un « art pompier », qui est reproduit. Un style que n'aurait pas renié Ernest Meissonier, dont on fête les 100 ans de naissance cette année. On a plus l'impression d’être dans la « galerie des Batailles du Château de Versailles », que dans la « galerie des refusés ». Mais où sont les références impressionnistes ? Pointillistes ? Surréalistes ? Où sont les Turner ? Les Gainsborough ? Les Caillebotte ? Les Seurat ? Où est l'art ? Où est la subversion ? Où sont les artistes ?
Autre thème de prédilection chez les infographistes : l'univers du rétro futurisme ou« SteamPunk ». Ici l'on frise l'overdose, une cité ne peut être qu'engloutie, le Monde est toujours post apocalyptique avec l’uchronie comme art de vivre. Esthétiquement, c'est irréprochable, graphiquement superbe, mais coté créatif c'est d'une banalité affligeante, sachant que en plus de Jules Verne, désormais Blade Runner rentre dans la catégorie rétro futuriste. Il serait temps de dépasser la prouesse pour proposer, imposer, dérouter, surprendre, le joueur avec un autre esthétisme, une autre proposition immersive, tout aussi léchée mais plus créative et originale. Plaisir des yeux, cette expo en jette plein la vue, mais frustration des mains qui n'interagissent plus.
On regrettera également une surreprésentation des productions de la Maison Ubisoft et une quasi absence des créations originales Indi, moins « mainstream » mais tout aussi exclusives de ce talent esthétique. Les salles s’enchaînent avec de très belles reproductions, exposées façons galerie d'Art. Des scènes emblématiques de grands jeux deviennent une fois « freeze » des tableaux, et l'on se désole à la sortie de ne pouvoir acheter, comme on le ferait d'un Tardi ou d'un Moebius, un contrecollé sur plexi. La scénographie favorise l’œil et rejette tout élément interactif, se privant ainsi du pouvoir immersif de l'interaction.
Tout au plus un ride « Assassin's Creed Unity », plonge le spectateur au centre d'une rue révolutionnaire avec l'anachronisme de drapeaux tricolores et de réverbères bec de gaz seulement introduit en 1812. Il faut bien reconnaître que « Rien n'est vrai, tout est permis ». Cela est tellement réaliste que l'on s'attend, chaque instant, à voir surgir Edith Piaf entonner Ah ça ira ! Aux grilles de « Si Versailles m'était conté » de Sacha Guitry. Bravo pour la qualité de la 3D, du rendering, du mapping, de la fluidité et de l'immersion, quand on y joue, on en redemande, mais quand on regarde, on en a la nausée, sans OculusRift.
En dehors de ce seul et unique effet immersif proposé, persiste un calamiteux Audioguide digne des pires scénographies multimédia des années 90. Mais qui a eu cette idée sotte et saugrenue d'utiliser un support aussi ringard ? 99,9% des visiteurs de l'expo étant équipées de SmartPhone, n'aurait on pu leur faire télécharger une appli, ou mettre des cartouches interactifs via des QR codes ? Alors, si vous êtes un étudiant, un graphiste, venez avec vos parents, vos proches pour prouver la légitimité de votre métier, si vous êtes un enseignant, venez avec votre classe, voir s'exprimer le talent d’anciens élèves très cultivés, enfin si vous êtes un esthète curieux venez découvrir que depuis Pong les pixels se sont émancipés.
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