Le présent n'est que le futur passé...
26 Novembre 2016
Succès garanti pour le Sommet Mondial du réseau des Cities For Life, dans laquelle s’insérait la Mairie de Paris, les 21 et 22 Novembre. Les kakemono « Ville pour Tous » guidaient les invités dans le dédale de l’Hôtel de Ville avec son décors surchargé « So » IIIe République. Lustres, pampilles, dorures, tentures, boiseries, trônes, galeries, tout ici semble décalé et suranné pour évoquer la ville du futur et le futur de la ville. La Grande Galerie sera le haut lieu des débats et des présentations, les multiples salons accueilleront les commissions. Comment dessiner les contours d'une ville pour tous ? Dans un décors royal ? Tel sera le pari des intervenants de ces 2 journées, très denses. Beaucoup d'élus, d'experts, à la tribune mais également les grands noms de l'industrie française de l’énergie, des transports, des télécommunication et du BTP, venus nous parler du Pays de Oui-oui*.
Ce forum ayant une dimension internationale, des maires de grandes métropoles étaient présents pour parler de leurs expertises, de leurs expériences, de leurs projets. Le Maire de Médélin en Colombie mais d'autres exemples en Europe du nord et Afrique viendront éclairer les difficultés à faire transiter sa population vers le tout numérique d'une SMART City. Car c'est bien l'enjeu ; profiter des taux d'équipement très élevés en Smartphone, pour faire de ces Smarts habitants, des Smarts consommateurs, des Smart citoyens, et des Smarts acteurs d'une Smart City. Les algorithmes sont en marche, pour optimiser nos vies, fluidifier nos déplacements, améliorer notre vie quotidienne. Bienvenue dans cette « Liquid life »**
L'idéal est toujours mis en avant dans ces conférences, et pour éviter que nos vies ne tournent au cauchemar à la « Brazil », certaines précautions sont à prendre. Ce Forum est également un engagement en 50 points dont la signature doit garantir le déploiement d'applications, de solutions et d'équipements. Ces engagements concernent la santé, l'éducation, la vieillesse, les déplacements, les datas, la culture, le savoir, l'écologie, l'économie. Au delà de ces engagements, l'enjeu est bien de définir les contours d'une ville intelligente. Deux notions très fortes furent énoncées lors de ce forum, la notion de ville résiliente, et la notion de ville inclusive.
A l'image de New-York depuis les chutes des tours du World Trade Center, ou de Berlin après la chute du mur, Paris est une ville résiliente, frappée, à son tour par le drame. Paris a longtemps joui d'un statut enviable et privilégié d'avoir été depuis la commune de 1870, préservée, des guerres et catastrophes d'ampleur. N'ayant jamais subi de destructions massives de son bâtit, comme Londres ou Berlin, elle n'eut jamais depuis le XIXe siècle à penser sa modernisation, ni sa reconstruction. C'est le déploiement de la banlieue dans les années 60 et sa restructuration routière qui viendra absorber l'explosion démographique, sans vraiment toucher le cœur de la cité. Ville la plus moderne du monde en 1900 avec son métro, son gaz à tous les étages, son électricité, sa voirie, son téléphone, sa Tour Eiffel, plus d'un siècle plus tard, elle fait figure de ville musée sous équipée et sous dimensionnée au moment même où les attentats meurtriers ternissent cette ville village, cette ville fête.
Comment surmonter les drames pour redevenir attractive ? comment associer sa population pour conjurer ce sort funeste ? Comment redevenir festive et accueillante pour tous et devenir une ville inclusive ? Ces questions sous-jacentes de ce forum sont restées sans réponses très concrètes, seuls des pistes sont dessinées. Est ce que cette résilience passera par les jeux Olympiques comme à Londres ? Ou par une exposition universelle comme à Séville ? Comme souvent se sont des solutions extravagantes et dispendieuses qui sont proposées quand les habitants et les touristes attendent plus simplement dess équipements, de la sécurité, de la propreté et de l'accueil. Paris n'échappe pas à cette règle, tout comme Rio, Barcelone et Londres, elle préfère se lancer dans le gouffre financier des JO, pour briller 15 jours et surtout pour ne pas s'occuper du mal logement, et des transports défaillants.
C'est le second sujet qui pose ici le plus problème, celui de la ville inclusive. Comme l'a très bien expliqué Mme Hidalgo, une ville n'est pas faite que de gens qui vont bien, une ville doit aussi accueillir ceux qui vont mal, ceux qui souffrent, ceux qui débutent et ceux qui vieillissent. Une ville pour vivre doit rester bigarrée et cosmopolite faite de couches très variées qui en s'associant, en se complétant et en se conjuguant font rayonner la cité. Seulement voilà , Paris à choisi une autre voie, à l'instar de Londres son éternel modèle depuis Napoléon III : celui de la gentrification. C'est le modèle du « tri sélectif de ses habitants » qui est en vigueur, lissant un peu plus sa population, en la caricaturant à l’extrême dans certains quartier. Le peuple des ouvriers, étudiants, artisans a quitté Paris, comme le dise si bien les mauvaises langues, en se « boboisant ».
Même si cette gentrification à Paris est moins violente et brutale qu'à Londres, elle est bien réelle. Au regard des chiffres de l'évolution de sa population, de la hausse des revenus moyens, de l'explosion du coût du logement, de sa composition et de son vieillissement, Paris n'est assurément plus une ville inclusive. Le stratagème ou la ruse, est l'invention d'un « Grand Paris ». En éloignant les jeunes, les indésirables, les artisans, les pauvres, les familles le plus loin possible, l'illusion demeure sous un vocable attrayant du « Grand Paris » comme pour mieux masquer la réalité de l'exclusion. Pour les uns, (moins de 2 millions d'habitants), Paris vous propose les vélibs, les autolibs, les spectacles, les marchés bio, les sorties, les voies sur berge piétonnes, pour les 8 millions d'habitants restant se sera le ReR bondés et défaillants, les bouchons, la banlieue grise, la pollution et les centre commerciaux pourris. De cette ségrégation, Paris se fout éperdument.
La France a cet incroyable talent de complexifié à l'extrême ce qui méritait la simplification. Quatre entités distinctes vont gérer cette partie de la France. D'abord l'entité ville avec à sa tête une Maire, qui est également une Préfecture avec un Préfet, incluse dans le « Grand Paris » qui a ses propres prérogatives et son Président, le tout constituante de la Région Ile de France qui a son tour a ses prérogatives et sa Présidente. Au quotidien, cela devient ingérable car bien souvent politiquement divergent. Au niveau du citoyen lambda, ce mille feuille inextricable, n'engendre que des confusions et des incompréhensions. Rien que pour la gestion des transports, la Région gère le STIF en partie financée par la Ville de Paris. La Mairie de son coté mène toute seule sa politique des transports routiers en excluant qui bon lui semble sans concertation, fermant et ouvrant au grès de ses accords politiques, ses accès.
Un Forum pour le moins décalé, dont la majorité des intentions et des engagements ne concerne pas la ville Hôte, ni ses habitants. L'échange avec les participants fut riche et particulièrement encourageant pour vivre la modernité des villes d'Afrique et d'Amérique du Sud dans une ambiance festive et studieuse. Encore une fois en complet décalage avec la réalité que vivent ces millions de banlieusards abandonnés et délaissés qui sont pourtant la matière première de la capitale, qui reste autiste, centrée sur ces voies cyclables et ses marchés bio. En revanche de belle start-up innovantes présentant des solutions rusées et accessibles pour enchanter le quotidien et moderniser la vie de la cité. Puis à la sortie du Forum, cette affiche de Coluche au nez rouge, comme un pied de nez, aux discours officiels, jamais suivis d'effets...
*Pays de Oui-oui. Pays imaginaire très souvent enjolivé dans les publicités, les colloques et les plaquettes pelliculées des grands groupes industriels où les escalators fonctionnent, les métros ne sont jamais en pannes, où il est si facile de se garer et où les gens vivent heureux et épanouis dans des cités sans vies, propres et lisses.
**Vie fluide : désigne une vie sans à-coups facilités par des bots prédictifs capables d'optimiser nos actions quotidiennes.