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Eric Leguay, ma vie numérique

Le présent n'est que le futur passé...

Nanterre la Folie

La Gare de Nanterre Université pendant 50 ans

La Gare de Nanterre Université pendant 50 ans

Lorsque Manuel Valls avait parlé de « ghetto », de « ségrégation », et même d’« apartheid » pour qualifier la politique de la ville de ses prédécesseurs, il avait soulevé un tollé de réprobation scandalisé. Pourtant la banlieue, il connaît. Maire d’Évry et député de l'Essonne, on ne peux certainement pas lui reprocher d'être un « Bobo », ni de ne pas avoir été en contact direct avec les quartiers difficiles. A l'heure où s'embrase de nouveau la « Grande Borne de Grigny » sous fond de trafic de drogue et de guérilla urbaine, je voulais par ce poste témoigner, de la réalité de cette ségrégation qui gangrène la banlieue. Cette politique de ghettoïsation, n'est pas nouvelle. Elle fut sciemment orchestrée dans les années 70, puis la gentrification accélérée de Paris sous Tiberi, a parachevé ce grand dessein. Pour matérialiser et rendre concret mon discours, je vais vous raconter l'histoire de la « Gare Nanterre-Université », la Gare qui dessert l'Université où je fis mes études.

Le bidonville de Nanterre aux portes de la Défense

Le bidonville de Nanterre aux portes de la Défense

Par principe, un étudiant, est bruyant, désordonné, contestataire, politiquement incorrect, bavard et revendicatif. Dans le quartier latin, cette population joviale mais souvent imbibée est difficile à gérer à contenir et à dresser. Elle fait peur aux bourgeois, terrorise les politiques, amuse les artistes, alors que se sont souvent ses propres enfants. Justement dans les années 60, Sorbonne déborde et ne peux plus contenir, les enfants de la classe moyenne, nouvelle consommatrice de savoir et soucieuse de donner le meilleur avenir à sa progéniture. Il faut donc s'étendre et construire une nouvelle faculté, sur le modèle des Campus Américains, façon YALE ou UCLA. De vastes espaces, de grands bâtiments, d'amphithéatres, de zones vertes, d'une piscine, d'une bibliothèque aveugle, d'une résidence universitaire, d'une autonomie de vie, devait comme par magie, enchanter les nouveaux étudiants, avides de culture et de soif d'apprendre.

Le baraquement du ReR

Le baraquement du ReR

Impensable de faire cela dans Paris, trop vieilli, trop densifié, trop sali, trop Doisneau et pas encore gentrifié. Tout ce qui se construit à l'époque doit être moderne, Orly, front de seine, CNIT, La Défense... alors cap à l'ouest. Ce sera à Nanterre, loin du centre. Il y a là, des friches industrielles, la Seine, de la boue, une papeterie, des maisons en meulière, une minuscule gare, un Maire communiste et un gigantesque bidonville de travailleurs immigrés souvent algériens dans un quartier au nom fleuri et prédestiné de « La Folie ». Un peu comme si aujourd'hui la « Jungle » de Calais allait accueillir l'ENA ou HEC ; ça craint !!! En 1964 est donc construit, le plus grand campus universitaire de France entouré d'une pauvreté crasse à 10km de la Gare Saint-Lazare, dans un style brutal et moderniste.

Gare de la Folie

Gare de la Folie

Placer ainsi au cœur même de la misère, les enfants de cette nouvelle petite bourgeoisie de l'ouest parisien, n'allait vraiment pas aller de soi. « Mai 68 » est dans toutes les têtes et marquera la cité du sceau indélébile de l'infamie. Pour desservir cette université, fut construit en 1970 une gare provisoire en préfabriqué, enjambant les voies et déversant chaque matin les milliers d'étudiants via un grand toboggan bétonné. Années après années ce bidonville sera résorbé a grand coup de bulldozer pour construire des barres HLM sans vie, inconfortables, avec ou sans les « nuages » de ‎Émile Aillaud. Le paysage post moderniste teinté de l'architecture soviétique verra également la construction de la Préfecture par André Wogenscky disciple de Le Corbusier. Toujours pas de gare digne de ce nom, toujours ces baraquements de tôle, toujours pas d'aménagement urbain, même après l'arrivée du RER A.

Nanterre la Folie

Pour punir cette ville trop Rouge et cette Université si INDOMPTABLE, pendant plus de 50 ans aucun investissement d'envergure veillant à moderniser, désenclaver, « déghettoïser », améliorer la vie des habitants et des étudiants ne furent réalisés. Pire encore sous l'ère Pasqua, alors que l'Université souffrait cruellement de financement, c'est à la Défense toute proche que le parrain des Hauts-de-Seine fit construire une « Université » flambant neuve « La Fac Pasqua ». Où construire une prison ? À Nanterre. Où faire passer deux autoroutes A14 et A86 ? À Nanterre. Où construire des logements sociaux ? À Nanterre. Cette ville et cette Université paieront le prix fort, alors que la qualité des enseignements était unanimement reconnue. Nicolas Sarkozy, Christine Lagarde, Daniel Cohn Bendit, Dominique Strauss Kahn, David Guetta, Jeanne Mas et moi même fréquentèrent ses bancs, empruntèrent ce grand toboggan bétonné et donc cette gare miteuse.

C'est seulement en fin d'année dernière qu'une nouvelle « gare dite multimodale » fut inaugurée avec la restructuration du quartier. 50 ans après, grâce aux investissements « d'Avenir » liés au « Grand-Paris », qu'une gare sort enfin de terre. Si ce n'est pas un signe marqueur de ségrégation de l'espace urbain ? 50 ans à attendre d'investir dans des équipements publics ? 50 ans pour desservir l'un des plus grand campus de France ? je ne sais pas comment qualifier c'est état de fait. Vous me direz que la patience a payé et qu'enfin le politique a résolu une anomalie insupportable ? Et bien non. C'est la croissance effrenée de la Défense et la gentrification de Paris qui viendront combler 50 ans d'oublis. En repoussant toujours plus loin, les classes populaires, en tertiarisant les emplois restant et laissant exploser le prix des biens immobiliers, ce qui avant était un terrain vague devint à l'orée des années 80-90 un endroit inestimable. Il suffit pour s'en convaincre de regarder pousser les affiches des programmes immobilier Kaufman&Broad pour comprendre que la population a changé et que déjà la ville est d'un Rouge plus rosé, plus supportable.

La Nouvelle Gare Multimodale

La Nouvelle Gare Multimodale

Aujourd'hui la superbe gare passerelle dessert la nouvelle dénomination de l'Université « Paris-Ouest-Nanterre-la-Défense », dans un éco-quartier à loyers démesurés à 5 min de la Défense. Il y a même un projet de tramway et la future ligne E du ReR sera toute voisine. Ici tout a bien changé même si le paysage porte encore les stigmates de son passé industriel, et de sa mosquée qui n'en finie pas de se construire. L'ensemble est chaotique mais très profitable, avec des sièges sociaux flambant neufs, des appartements de standing et un parcours santé en bord de seine. A son tour Nanterre se « Levallois-Perretise », en disant au revoir au peuple. Il en est ainsi pour la majorité des villes anciennement populaires et Rouges. Les étudiants sont bien sages et bien rangés dans des amphithéâtres au WiFi illimité. C'est donc bien le politique qui organisa durant ces années la ségrégation urbaine, aujourd'hui dénoncée par le premier ministre. Ceci n'était qu'un simple exemple, il y en a tant d'autres...

Le projet

Le projet

Les photos historiques sont tirées du livre « Chemins de fer de la banlieue Ouest Paris-Saint-Lazare ». Les visuels pour la future gare par EPADESA.

https://nanterre50ans.u-paris10.fr/

http://www.epadesa.fr/la-carte-des-projets/projets/seine-arche/autour-de-luniversite/gare-multimodale-nanterre-universite-et-son-parvis.html

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