Le présent n'est que le futur passé...
21 Décembre 2015
« Vendredi 13, ils étaient prévenus, ils sont condamnés. En ce vendredi 13, rien ne pourra les sauver », ainsi commençait la bande annonce de cette série de 11 films d’horreur initiés dans les années 80. Les amateurs de sensations fortes allaient découvrir, le jeune Jason, en tueur sauvé des eaux. La scène finale du premier opus, faisait sursauter la salle, comme une décharge de mitraillette. Pourtant ce film culte pour les uns, kitsch pour l'histoire du cinéma et cheap pour beaucoup était encore loin de ce que les 1 000 spectateurs du Bataclan allaient vivre le Vendredi 13 Novembre 2015. Je ne m'étais pas exprimé après cet horrible attentat, abasourdi par les faits, étranglé par l’horreur, assommé par la violence et la gratuité, muet de peur. Il ne me restait plus que les images de films pour renouer les fils de ma vie numérique, à jamais déchirée. Reprendre la plume pour continuer.
Car depuis plus de 30 ans nous vivons plans séquences, par plans séquences, la vie décrite avec minutie dans « Brazil ». Nous sommes ces Tuttles baffoués et ces Buttlets recherchés, nous vivons dans des paysages urbains tristes et gris, avec une modernité pour des hommes diminués. Nous acceptons sans broncher ce pays de Oui-Oui où tout est beau et reluisant au dehors mais où se cache la crasse et le cloaque dès que l'on soulève le petit coin de moquette, l'égout pestilentiel. Nous avons le câble, Internet, les smartphones, le cloud, mais nous ne voulons pas voir ni savoir comment fonctionne le coté obscur. Pendant que nous ne nous soucions que du futile, de notre apparence, de notre esthétisme, les bombes explosaient sur nos terrasses de cafés, nous privant momentanément de nos plats en cuisine moléculaire. Dormez tranquille, notre Ministère de l'information veille en inondant de message rassurant les chaînes tout info.
Le premier commandement du Fight Club est « Il est interdit de parler du Fight Club », alors sur nos écrans, familles et amis des assassins, le même étonnement, la même surprise, le même dédain. Des convertis ? Des radicalisés ? Islamisés ? Des gens si bien ? Qu'à la fin on les confonds avec Mandrin. Ils garent nos voitures, conduisent nos bus, ils nous servent à table, ils vous fouillent avant de monter dans l'avion, ils prennent le train, ils achètent des Kalachnikov comme nous achetons du pain, passent les frontières sans les mains, vous vendent le l'herbe, ils trouvent illico un appartement. Ils sont invisibles et invincibles, mais visibles sans se cacher, que nous ne pouvons que les amalgamer sans y toucher, sans les rattraper. Notre impuissance est totale, notre couardise est sans limite. Seul le pavé parisien entends notre colère, foulé par les anonymes, les survivants du prochain carnage.
C'est Amélie Poulain qu'on assassine, c'est notre joie de vivre qui est pillée, saccagée. Bientôt, il n'y aura plus que nos nains de jardins qui oseront s'aventurer dans ce que fut Paris. Notre fabuleux destin s'est éteint avec Cabu le 7 janvier 2015. Il ne reviendra plus, Paris n'est plus une fête. « Venez j’vais vous aider. On descend. Et Hop c’est parti ! Là on croise la veuve du tambour de la fanfare. Elle porte l’apparence de son mari depuis qu’il est mort. Attention Hop ! Tiens l’enseigne de la boucherie chevaline a perdu une oreille. Ce rire c’est celui du mari de la fleuriste, il a des petites rides de malice au coin des yeux. Oh dans la vitrine de la pâtisserie y’a des sucettes pierrot Gourmand ! Humm vous sentez ce parfum ? C’est Péponne qui fait goûter ses melons aux clients. Ah, chez Marion, ils font de la glace aux calissons. On passe devant la charcuterie : 79 le jambon à l’os, 45 le travers demi sec. On arrive chez le fromager 12,90 les picotouls de l’Ardèche et 23,90 le capitoul du Poitou. Chez le boucher, il y a un bébé qui regarde un chien qui regarde les poulets rôtis. Voilà, maintenant on est devant le petit kiosque à journaux, juste devant l’entrée du métro. Et moi je vous laisse ici. Au revoir. »
Pendant ce temps nos hommes d’influence imaginent dans le secret des cabinets, des stratagèmes et des plans de communication pour parer au plus pressé, rassurer, sauver les apparences, sauver sa place et son mandat, jouer au père de la Nation. Un logo, une COP21, un drapeau, une chanson, un défilé, un profil facebook ripoliné, des produits dérivés, des Tshirts et quelques vieilles chaussures exposés place de la République détournent de nouveau l'attention du public. De la Marseillaise entonnée par nos pires ennemis Britanniques, de cérémonies funéraires, de minutes de silence en hommages en tout occasion, que vous en aurez la nausée. La gorge nouée, le cœur serré, vous aurez envie de crier de hurler, votre peur, votre haine, envie de combattre l'ennemi sournois et invisible qu'à la fin aseptisé sous le formol de la bonne pensée vous serrez anesthésié, bras et jambes ankylosé, impossible de bouger, de penser de vous révolter. Pourquoi ? Qui ? Comment ? Resteront sans réponses. Serions nous aussi fragile ? Serions déjà des Romains vivant la fin de leur Empire ?
Alors il est grand temps de se réfugier dans nos mythes modernes et de trouver la lumière et vérité dans les Guerres de l'étoile. Espérant retrouver la force qui est en nous, nous suivrons les préceptes des maîtres Jedi, pour conjurer le mauvais sort et lutter contre le coté obscur des Siths. « Je suis le cœur de l'Obscurité. Je ne connais pas la peur mais je l'instille à mes ennemis. Je suis le destructeur de ce monde. Je connais le pouvoir du Côté Obscur. Je suis le feu de la haine. Tout l'univers se prosterne devant moi. Je m'engage dans l'Obscurité où j'ai découvert la vraie vie, Dans la Mort de la Lumière. » Tel est leur profession de foi, si présente et si contemporaine, que les répliques du film claquent avec autant de vérité. Qui sera notre Maître Yoda qui prendra la tête de l'armée clone de la République ? Où est notre Luke Skywalker ? Chevalier moderne qui partira pour une nouvelle croisade ?.
Car pendant que vous pleuriez tétanisés devant vos écrans de télé, le soir du Vendredi 13, pendant que vous entonniez la Marseillaise, pendant les interminables minutes de silence, que vous enserriez vos prochains, en inondant la toile de messages réconfortant à la recherche de survivants, ma propre famille vivait "Festen" en direct. Carbonisée, pulvérisée, éparpillée façon Puzzle, ma famille a éclaté. Par jalousie, par bêtise, par étroitesse d'esprit, les miens en viennent aux mains, les insultes fusent, les rancœurs trop longtemps maintenues pas politesse explosent au visage. On ne choisit pas sa famille, on subit, on se tait, on sauve les apparences, on maintient le lien. Parce-que l'on a pas à s'excuser de ce que l'on est, de ce que l'on fait, de ce que l'on aime, alors ce lien se détend, puis lâche. Il ne me reste plus rien. Il ne me reste plus que ma vie numérique. Joyeux Noël...