Le présent n'est que le futur passé...
2 Mai 2015
Alors qu'une rétrospective, autour de son œuvre, vient d'être inaugurée au centre Pompidou, 50 ans après sa mort, Charles-Édouard Jeanneret dit Le Corbusier fait encore polémique. Ainsi donc après 50 ans passés, de révolutions technologiques, de changements climatiques, de bouleversements géopolitiques, de constructions anarchiques, le grand architecte suscite autant le rejet que l'admiration. C'est souvent à lui seul et à ses intentions qu'est portée toute la responsabilité de l'échec cuisant des « grands ensembles » construits entre les années 50 à 70. Si son œuvre prospective et créative suscite la reconnaissance un peu partout dans le monde, il se trouvera toujours quelqu'un pour nous rappeler « La Maison du Fada » comme pièce maîtresse de notre dégradation urbaine.
Autant vous le dire tout de suite je suis un admirateur INCONDITIONNEL de son œuvre, un militant oserai-je même dire. J'ai passé mon bac en 1982 dans le Lycée qui porte son nom, sans connaître aucune de ses constructions. Sur le site du « Lycée Le Corbusier » se trouve l'une de ses plus emblématique Villa, la Villa Savoye, du nom de son propriétaire, fondateur de la compagnie d'assurance Gras-Savoye. Quasiment en ruine et abandonnée, elle n'était pas ouverte au public. Pourtant en entrant dans le jardin, on pouvait apercevoir cet OVNI moderniste posé sur l'herbe verte, comme prêt à décoller. Assurément cet architecte qui avait construit une machine à habiter aussi époustouflante ne pouvait être que « le visiteur du futur ».
Imaginer en 1928, une manière de vivre aussi peu conventionnelle et aussi éloignée des standards de vie de l'époque est en effet déroutant. Plan libre, solarium sur le toit, dedans-dehors sur la terrasse, grandes baies vitrées, fenêtres bandeaux, salle de bain de repos, garage intégré, pilotis, sont les attributs les plus marquants de cette architecture fonctionnelle. C'est encore plus déroutant, lorsque l'on visite aujourd'hui la Villa, 15 ans après l'an 2000, pour comprendre l'aspect visionnaire de nos envies de vie contemporaine. Les médiocres pavillons de banlieue Phénix et la Maison de Maçon Bouygues, sont restées au XIXe siècle. Ce qu'il fit pour une et plusieurs Villas, il l'imagina pour des immeubles collectifs, un couvent et des villes entières.
Pourtant cela commençait bien, puisqu’après guerre, il s'agissait de faire construire, une « cité radieuse » ouverte, éclairée, spacieuse, moderne, équipée, par l'architecte moderniste le plus célèbre des années 20, en remplacement des taudis insalubres Marseillais et surtout pour reloger ces milliers de familles sans logis. L’unité d'habitation était née, avec elle le concept de duplex, de cuisine ouverte et équipée, de loggia, de parois coulissantes, de placards, de toit terrasse avec des équipements collectifs, de rue intérieure, le tout monté sur pilotis pour faciliter la circulation au niveau du sol. Visionnaire ? certes, vivable ? Oui, coûteux ? assurément, fiable ? absolument pas, dérangeant ? le mot est faible.
Marseille puis Rézé virent se bâtir ces « unités d'habitation collective », ces « barres », que le public percevait de moins en moins « radieuses », tant le choc visuel était brutal, et le mode de vie déstabilisant. Si le « Modulor » guidait la conception de ces ensembles, cette notion systématique ne collait pas aux hommes non standardisés des années 50 et 60. Sans doute, cette notion de besoins standardisables et standardisés presque industrialisée du Taylorisme architectural passait très mal chez ses contemporains. Elle passe encore très mal chez NOS contemporains, qui ne voient pas dans le « Modulor », la version moderne de « l'Homme de Vitruve » de Léonard de Vinci. Ses villes idéales et ses cités radieuses, Le Corbusier ira les bâtir ailleurs, en Inde.
Le Corbusier n'a donc pas construit les grands ensembles qui fleurirent en banlieue et qui marquent l'architecture HLM des années 60-70. Pourtant, de nombreux architectes et hommes politiques de l'époque revendiquaient à tort, son héritage et sa pensée dans la construction à grande échelle de « Cages à poules ». Son plan pour un Paris du XXIème siècle, reste le plan d'urbanisme le plus controversé. Le traumatisme est tel aujourd'hui, qu'à Paris, il ne se construit plus rien d'envergure, sans que la polémique ne ressurgisse. Même une malheureuse Tour d'à peine 180 m de haut de forme Pyramidale à la Porte de Versailles crée l'hallali. Certaines vont même jusqu'à envisager la destruction de la Tour Montparnasse afin de raser toute trace de modernité à ce Paris « muséifié ».
Lui qui voulait que son talent de peintre soit reconnu et qui finit ses jours dans un cabanon, reste le plus grand architecte et urbaniste du XXe siècle. La polémique ultime trouve également son origine dans ses idées politiques proche du « facisme » et du « totalitarisme », dont on trouve trace dans sa très nombreuse correspondance avec sa mère. Pourtant il traversa la guerre et l'après guerre sans encombres. Traité ensuite son architecture de fascisante est également grotesque puisque toute l'architecture des années 30 est marquée par ce style martial et viril, pour s'en convaincre il suffit de regarder de près le Trocadéro, ou la Mairie de Boulogne Billancourt.
Je vous invite aujourd'hui 50 ans après sa mort, à découvrir, son œuvre la plus accessible et la plus visionnaire : la Villa Savoye. Ce n'est pas un voyage vers le passé, cette rencontre avec ce bloc pur et blanc, mais un voyage vers le Futur architectural. Un futur qui reste encore à écrire quand notre XXIe siècle encore naissant aura trouvé ses marques. Venez apprivoiser ce vaisseau spatial, venez vous élever sur le toit terrasse pour dominer la frondaison verte environnante et imaginer vivre ici, dans cette maison témoin de nos désirs de liberté. Cette maison a été imaginée et construite pour les humains du XXIe siècle.